Auto-stop
ÉCONOMIE

HEETCH condamnée, qui va réécrire le droit ?

15 jours après la fermeture d’Uberpop, la condamnation de la plateforme de transport HEETCH était prévisible.

Heetch, c’est une application mobile de « covoiturage de nuit » qui met en relation des conducteurs non professionnels avec des jeunes qui sortent le soir dans les grandes villes (Paris, Lyon et Lille), où les transports en commun nocturnes ne sont pas très sûrs et les taxis et VTC trop chers pour eux. L’appli n'était utilisable qu'entre 20h et 6h du matin, du jeudi au samedi ; d’après la start-up, 80 % de ses utilisateurs étaient des jeunes de moins de 25 ans et deux tiers des trajets se faisaient en banlieue. Répondant à un réel besoin, Heetch a connu un franc succès : 30 000 conducteurs occasionnels et 100 000 trajets par semaine. Las, elle a été lourdement condamnée, pour « complicité d'exercice illégal de la profession de taxi ».

L’affaire, en droit, était pliée d’avance. La législation française a été fabriquée sous la pression des corporations. Elle ne favorisera pas, dans ce secteur comme dans les autres, l’implantation de nouveaux arrivants.

C’est le paradoxe et l’hypocrisie de toute une génération de décideurs français - politiques et consulaires. Depuis 20 ans, cette génération interpelle les jeunes, fustige l’indolence des chômeurs, veut leur imposer l'acceptation d'une offre même précaire de travail (sinon on coupe les alloc). Et pourtant, elle ne cesse de vanter le modèle américain des premiers jobs, des "petits boulots".

 

Silence des politiques

 

Depuis Martine Aubry, mais jusqu’à la droite libérale, ils sont nombreux, en parole, les propagandistes de l’auto-entrepreunariat, des startups, des circuits courts et de toute forme d’économie collaborative. Pourtant, ce sont les mêmes, ceux qui ont développé le chèque emploi et l'auto-entrepreneuriat, qui sont aujourd’hui silencieux quand on sanctionne les modèles émergents et expériences alternatives dès qu'ils réussissent, dès qu’ils sortent de l’économie marginale où on les avait imaginés stationner.

1 - CRoute désertee devrait être une évidence ! Les sites comme Wikipedia, les moteurs de recherche ou les applis tels que Mozilla, OpenStreetMap ou Google Maps, les notations sur Allociné, LaFourchette ou Tripadvisor, ont déboussolé les propositions commerciales payantes de Larousse, Pariscope, le Guide Michelin... Ces sociétés se sont installées dans la vie quotidienne des consommateurs. Y a-t-il encore quelqu'un pour les interdire au motif que ces sociétés « précarisent leurs concurrents » (terme repris dans les attendus du Tribunal) ? Donnerait-on raison à Madame Hidalgo quand elle parlait d' interdire les livraisons d'Amazon qui déstabiliseraient le commerce parisien ? 

Allons, soyons sérieux et, pour une fois, visionnaires. Les nouvelles plateformes comme Uber ou Heetch correspondent à une vraie demande de services qui n’a pas été assouvie par les entreprises leaders sur ce marché. Ni les taxis, ni les VTC, ni la RATP, ni même les bus Macron, ne proposent d’offres commerciales attractives pour tous ces consommateurs qui recherchent des facilités de transport inter-urbain nocturne, en grande périphérie, ou encore de jour, de ville à ville, en province. L’offre est inexistante, à des tarifs prohibitifs, et exige des délais impossibles. Un ministre de la Consommation ou du Commerce, s'ils existaient, ne devraient-ils pas se préoccuper d'abord de ces manquements, et des emplois susceptibles d'être créés ? Non, ce monde-là préfère barrer la route à Uberpop et à Heetch. Mauvaise pioche ! Comme le rappelle Gaspar Koenig dans les Echos du 7 mars, le marché reste inassouvi, donc prometteur. Sam, plateforme réactivée dès le lendemain du verdict, l’a bien compris et prend le relais.

 

Une conception absurde de la concurrence 
 

2 - Il y a d’ailleurs, même en droit, une incongruité à sanctionner Heetch pour concurrence déloyale, alors que ses opposants n’assument pas le service sur ce marché. Comment peut-il exister une concurrence déloyale lorsque les acteurs ne sont pas concurrents ?!
 

3 - La législation française prône la libre concurrence. Que les rentiers veuillent la limiter, c’est un fait, c’est une constante, et les combats de E. Leclerc contre les pétroliers, les laboratoires pharmaceutiques ou les banquiers, sont là pour en attester. Qu’on exige des conditions de loyauté et de non-discrimination, voilà qui est normal. Que chacun respecte ses conventions collectives, les normes de sécurité et ses obligations fiscales, là est le bon combat ! Observons que, à l’exception de Hamon et de Macron, cette exigence de reprogrammation de la loi est complètement absente du discours politique. Pourtant, la digitalisation de l’économie va permettre la multiplication des formes d’organisation et d’échange. Alors ?

 

Au législateur de s’adapter au consommateur

 

4 - La concurrence, ce n’est pas seulement les hypers entre eux, les pétroliers entre eux. C’est la confrontation souhaitable des formats (hyper vs super par exemple), des conceAuto-stoppts (vente à distance vs magasin de proximité), des organisations (intégré vs coopératif ou franchisé), … 

En offrant des services nouveaux, les plateformes d’échange comme les places de marché s’imposent dans le paysage concurrentiel. Elles sont de plus en plus plébiscitées par les usagers. C’est au législateur de s’adapter. Et l’administration qui se targue de défendre les consommateurs serait bien inspirée de l’y aider.

5 - Revenons à Uber, Heetch ou Sam pour une dernière réflexion. Quelle est finalement l'alternative qu'on laisse à leurs utilisateurs ? Le co-voiturage ? C'est du Heetch sans la transparence ni la garantie d'une limitation de revenu, non ? Ah oui, il y a l'auto-stop ! C'est gratuit et, dans ce cas, le législateur ne trouverait rien à redire sur cette concurrence VRAIMENT déloyale ! Mais c'est non marchand, et donc tellement plus moral :-) . Super !

 

5 Commentaires

Salut Mel,
BPI france soutient des Start Up qui proposent des services gratuits pour les utilisateurs. C'est très bien mais dans un monde où l'argent permet de contenter simplement la pyramide de Maslow c'est gênant... Alors de temps en temps la police débarque dans les start up et met dans le panier à salade du patron jusqu'aux stagiaires!
L'économie collaborative c'est beau, c'est jolie mais anti système économique en créant de la concurrence déloyale et des recettes en moins pour l'état...
Qui va revoir la copie?
Dans cet article il est question de mobilité mais c'est aussi vrai pour les activités par exemple de relevés de prix dans les magasins...c'est tentant de demander aux consommateurs de relever les prix avec le smartphone et de recueillir les données... oui mais Sécodip et Nielsen attaquent pour se défendre. Vouloir démonétiser la société me semble absurde. Il est préférable de favoriser les échanges par la monnaie car ce système crée au final plus d'inégalité car la start up gagne de l'argent sur le dos des gens qu'elles ne rémunèrent pas et tuent des emplois rémunérés. Je suis contre le bénévolat et le travail gratuit. Toute peine mérite salaire, ces start up vivent ou espèrent vivre sur le dos du con qui fait le boulot gratuitement. Vouloir ouvrir le marché de la bonne poire est encore un moyen de développer le chômage plus dangereux que le développement d'algorithme car les bonnes poires poussent gratuitement toute l'année et n'ont pas besoin d'entretien.
Bonjour Mel,
comme vous avez raison de vous indigner! Je partage votre ébahissement devant la rigidité, l'inadaptation, l'incompréhension et finalement l'archaïsme des institutions sur ce dossier. C'est toute l'économie collaborative qui est menacée. Ce matin, sur Télématin ou BFM, je ne sais plus, je regardais en faisant du sport et il était question d'une appli qui permettait à quelqu'un, en prévision d'un déplacement, de proposer de rapporter des fromages d'une exploitation qui est la seule à faire ce type de fromages. En clair, inscrit à cette appli, je sais qu'il va être proposer cela ou cela, je demande que la personne, dont ça n'est pas le métier, me rapporte. Elle le fait, je la paye.
Que peut-il se passer pour cette personne qui est allée en we dans sa famille et en rapporte des fromages? Elle va se faire poursuivre pour exercice illégal de la profession de crémier? de grossiste? de transporteur?
On marche vraiment sur la tête! Enfin on ne marche plus ; on est sur la tête, complètement à l'arrêt...
Bravoi pour votre blog.
Bob (je ne suis ni un robot ni un bricoleur)
Cher Monsieur,

Si Heetch ne prenait aucun client aux taxis parisiens, si Heetch ne faisait pas baisser le prix des courses à Paris, Heetch et les Taxis parisiens seraient réputés agir sur des marchés (pertinents) différents et donc être non-concurrents.

Les Juges n'ont pas voulu entendre cet argument frappé, pourtant, au coin du bon sens... D'ailleurs, parions que la fermeture de Heetch n'occasionnera pas plus de hausse de la demande adressée aux taxis, ni même la hausse des prix de leurs courses.

Pourquoi, alors, bon sang de bois, les taxis et la justice sont-ils partis en guerre contre une entreprise qui n'était pas leur ennemie?... La profonde mutation des métiers, des notions de marché et de concurrence inquiètent une profession pétrie dans son corporatisme, attentive à préserver le "business as usual"...

Le bateau coule, certes... Mais, le capitaine est droit dans ses bottes!

Bjr M MEL,
Si je suis bien votre raisonnement, je peux aller chercher un produit quel qu'il soit chez un producteur et le revendre sur le parking d'un centre Leclerc à un prix bien inférieur que dans ce magasin, pas de charge sociale, pas de frais de commercialisation etc.. sans aucun risque et avec votre benediction et celle de vos adherents ?
Ce serait un progrès et un avantage pour les consommateurs...
Avec votre accord je commence demain, mais j'ai des doutes....
Heetch n'est pas arrivé jusqu'en Bretagne, mais lorsque je lis le site internet de heetch et les avis de chauffeurs je lis des divergences. En effet la société se présente comme une solution de covoiturage de soirée, malheureusement l'appli est faite pour que le chauffeur regarde où il y a des covoiturés à prendre et non l'inverse comme blablacar où le propriétaire du véhicule propose les lieux de départ et d'arrivé ensuite les covoiturés s'adaptent. Quand je lis le prix de ce covoiturage dans Paris est à 10€ mais moi je demande 10 pour Brest Nantes via blablacar 250 contre 25 km et 10€. j'ai déjà traverser Paris en voiture ça ne m'a jamais couté un quart de ma jauge. Non il y a du travaille dissimulé et j'ai l'impression que Heetch se faisait du gras sur le dos des chauffeurs non salariés qui enchainaient les courses dans une soirée. pour trois francs six sous une fois les frais de voiture déduit. Je ne suis pas contre l'économie collaborative (cela ne me dérangerait pas après avoir fait mes courses de passer au drive pour récupérer les courses des voisins mais pas de livrer tous les foyers de la communauté de commune pour quelques euros sur ma carte Leclerc ;-))

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