Philip Roth décès
CULTURE Actus - Débats

L’écrivain américain Philip Roth est mort hier.

Philip Roth avait renoncé à écrire en 2010.

Il expliquait dans des termes qui forcent d’autant plus le respect qu’ils auraient pu inspirer beaucoup de personnages publics de tous crins ; tous ceux qui ont fait le match ou couru la course de trop, brigué le mandat de trop, écrit le livre de trop... Il disait alors comme le rappelle Libération ce matin : "Le combat avec la littérature est terminé (...). A ce moment-là, je n’étais plus en possession de ma vitalité mentale ou de la forme physique nécessaire pour enfourcher et maîtriser un accès de créativité d’ampleur de n’importe quelle durée".

D’une certaine manière et non sans ironie, il incarnait dans cette fin choisie une sentence proférée par un autre américain à qui l’on ne songe pas immédiatement quand on pense à un humaniste, l’inspecteur Harry Calahan –et oui, "Dirty Harry !", "L’homme sage est celui qui connait ses limites".  

Naturellement je n’ai pas lu "tout Philip Roth", tant s’en faut. Je l’ai abordé presque par hasard avec le premier ouvrage de sa trilogie américaine. Un copain -il se reconnaîtra, m’avait offert Pastorale américaine avec un sourire gourmand. Quelle puissance ! Tout ce que l’Amérique compte de clichés y figure : LE sportif du lycée qui épouse LA miss New Jersey de l’époque, LE succès entrepreneurial, LE sourire Colgate…et patatras tout s’écroule, tout s’écroule en restant debout. L’univers simpliste et marketé d’une Amérique de carte postale, l’Amérique des apparences, celle d’UN rêve américain stéréotypé se fissure : il y a un derrière le miroir !  La fille du couple idéal, révoltée par la guerre du Vietnam, commet un attentat meurtrier, s’échappe, fuit tout et tous, notamment son père qui n’aura de cesse que de la rechercher, et la retrouver que pour comprendre que c’est de lui et de son univers qu’elle s’extrait… La femme de ce dernier le trompe, la maladie s’installe… Philip Roth, c’est le décor et ses envers, l’être et ses autres, l’incarnation et l’illusion, l’Amérique plurielle, violente, ambivalente, paradoxale… Alors, naturellement j’ai continué avec J’ai épousé un communiste puis La tâche…

Etrange Amérique décidément. Etrange Amérique qui élit un Président qui recueille moins de suffrages que sa rivale (grands électeurs et "Winner takes all system" obligent), élection pourtant démocratique… Etrange Amérique qui remplace un afro-américain élégant et cérébral par une brute bien peu diplomate ! Etrange Amérique qui depuis des décennies pleurent ses enfants tués dans des tueries de masse (au lycée, en discothèque, en concert…) tout en défendant bec et ongles le 2e amendement qui permet à chacun de porter une arme. Ca n’est pas la même Amérique, mais les deux coexistent. Et s’il n’y en avait que deux… Etrange Amérique qui permet tout et son contraire ; le rêve américain n’est pas un, il est pluriel, névrotique. Philip Roth est l’écrivain de cette complexité, l’écrivain passionnant.

La plupart des journaux ouvre la triste nouvelle de ce deuxième départ en signalant que Philip Roth n’a jamais obtenu le Prix Nobel alors qu’il était régulièrement cité. Ce "ratage" serait si important ? Philip Roth rejoint la liste des immenses écrivains qui n’ont pas reçu le Prix Nobel de littérature : d’abord ceux qui ont écrit avant que le prix existe, ceux contemporains qui ne l’ont pas obtenu et ceux qui l’ont refusé, ceux à venir qui ne l’auront pas mais qui font parties d’une coterie encore plus sélective, celle qui n’a pas besoin de recevoir le Prix Nobel de littérature, la catégorie des écrivains "immenses".

Il y a 8 ans un homme mettait fin à son activité d’écrivain, hier cet homme est mort. De grâce, offrez-vous un bonheur vertigineux, lisez Philip Roth.

3 Commentaires

Cher Michel-Edouard Leclerc
Bel hommage que vous rendez à ce magicien des illusions, et des illusion perdues des américains. Je ne suis pas étonné que vous ayez "rencontré" cette plume magistrale qu'est Philip Roth ; après tout vous êtes l'inventeur du festival Culturissimo qui fait s'épanouir la littérature en ce moment dans les espaces culturels des magasins Leclerc.
Bravo pour votre défense de la culture, de toutes les formes de culture.
J'adore cet écrivain. L'impression de perdre un morceau de soi. J'ai lu beaucoup sur lui aujourd'hui. Vous en parlez bien. On se sent moins seul et moins triste avec tous ces textes sensibles qui indiquent qu'il a vraiment marqué ses leceteurs. Merci.
Ah MEL ! Merci pour ces mots...les aurais-je trouvés ?... je n’en trouverai pas de plus justes... et oui lisez cette Pastorale américaine qui fait partie de ma petite bibliothèque intime...vous savez ce petit tas de peu de livres qu’on n’oublie jamais qui nous accompagne toujours... bon vent à ce cher Philip...

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