Loi Agriculture et Alimentation : la valse a mis le temps
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Loi EGA : la valse a mis le temps

On connaît ma position.

Je soutiens le projet et les amendements qui recherchent une amélioration du fonctionnement des marchés, et du niveau de vie des agriculteurs français, mais je dénonce une OPA de quelques distributeurs et industriels pour pouvoir faire passer des hausses de prix qui n'ont rien à voir avec le sujet.

Dans le précédent billet, je démontrais que cette OPA était explicite dans le corps même du texte de l'étude d'impact accompagnant le projet de loi. Aujourd'hui je vous démontre que, sommés de se faire plus précis, les arguments des partisans de la hausse des prix se contredisent jusqu'à nier tout lien avec un bénéfice agricole !

Au premier temps de la valse, tous les trois ils sourient déjà…

A l'automne 2017, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert, l'ancien PDG de Système U et la Présidente de la FNSEA justifiaient l'obligation de remonter les prix (hausse du SRP) en affirmant que "les Français accepteront de payer quelques centimes de plus pour leur alimentation".

Le ton se voulait rassurant, patelin : "Michel-Edouard Leclerc a tort, il fait de la com', les Français ne sentiront pas l'inflation".

Partout, Serge Papin, Christiane Lambert, Stéphane Travert, le député Jean-Baptiste Moreau, mais aussi Richard Girardot (Nestlé), Jean-Philippe Girard (ANIA)… s'époumonent : en obligeant les distributeurs à prendre 10 points de marge minimum, ils pourront acheter plus cher aux industriels qui pourront eux-mêmes acheter plus cher aux agriculteurs français… les consommateurs doivent comprendre qu'il faut payer plus cher la nourriture. En clair : inflation assumée et revendiquée.

Au premier temps de la valse, je suis seul mais je les aperçois…

Début 2018, le gouvernement confirme implicitement en publiant "l'étude d'impact" qui accompagne le projet de loi EGA. Au détour d'un paragraphe, on lit :

"Avec une hausse du SRP de 10 % qui affecterait un tiers des produits alimentaires promotionnels, on aboutirait à une hausse mécanique moyenne des prix des produits alimentaires vendus en GSA de 0,7 % (2,0 % si la totalité des produits alimentaires promotionnels sont affectés)" (pp.70).

La reconnaissance de l'effet inflationniste devient officielle et l'évaluation se fait plus précise!

Et Paris qui bat la mesure…Paris qui mesure l'émoi…

Les associations de consommateurs montent sur la table. L'UFC-Que Choisir chiffre la ponction sur le pouvoir d'achat en convertissant les % en € pour annoncer : 1,74 et 4,98 milliards d’euros de surcoûts pour les consommateurs sur les deux ans.

Le chiffre choque, mais l'UFC ne l'a pas inventé !

Dans le même temps, voilà que s'additionnent le couac sur les APL, les doutes sur la taxe d'habitation, le relèvement du prix de l'essence et les premiers sondages qui montrent l'inquiétude des Français pour leur pouvoir d'achat…

La presse commence à questionner M. Travert plus précisément sur ce point. Au gouvernement, on commence à modifier les fameux "éléments de langage". Le discours se fait plus mielleux. Serge Papin et Stéphane Travert s'enfoncent dans de fumeuses explications techniques sur la notion de péréquations.

Une valse à quatre temps, c'est beaucoup moins dansant…

Le choc inflationniste étant jeté sur la place publique, il faut trouver une autre fable à raconter.

Ça nécessite beaucoup de contorsions, puisqu'on a promis aux agriculteurs qu'il y aura du ruissellement et "EN MEME TEMPS" il faut minimiser la hausse des prix pour rassurer le consommateur !

On commence alors à dire qu'il n'y aura pas d'inflation car les hausses de marge pourront être compensées par des baisses sur d'autres produits. Donc un jeu à somme nulle.

Et le Ministère de l'agriculture de publier sur son site de jolies iconographies pour nous "prouver" que l'impact inflationniste sera nul du fait du rééquilibrage des marges… Sauf que…

Loi Agriculture et Consommation

Le graphique gouvernemental se prend les pieds dans le tapis et montre que le relèvement du SRP aboutit bien un effet inflationniste ! Nouvelle boulette…

Une valse à vingt ans, c'est beaucoup plus troublant…

Avant-hier, changement d'argument. Exit les agriculteurs !

Richard Panquiault, directeur général de l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (le puissant lobby des grosses multinationales de l'agroalimentaire) livre une troublante confidence dans l'Opinion de mardi.

A la question "Michel-Edouard Leclerc estime que ça créera 2,5 milliards d'euros d'inflation", le lobbyman répond :

" Les 10 points maximum de marge gagnés sur les prix encadrés par le SRP, il aura tout le loisir de les réinjecter sur des dizaines de milliers d’autres produits vendus aujourd’hui avec des niveaux de marge de 20,30,40, voire 50 % pour neutraliser les effets de la loi sur les prix pour les consommateurs."

Cette fois c'est clair, l'argent n'ira pas aux agriculteurs ! Visiblement l'affirmation d'Emmanuel Macron chez Bourdin/Plenel qui disait ne pas croire au ruissellement (de fait il n'a jamais vraiment adoubé la nécessité d'une quelconque hausse des prix aux consommateurs), a libéré la parole des industriels !

Mais alors pourquoi toute cette histoire ? Pourquoi maintenir cette taxation des consommateurs ?

Maintenant que les choses sont limpides, quel est encore l'intérêt des agriculteurs qui, par la voix de Madame Lambert, soutiennent cette mesure ?

Une valse à mille temps, offre 333 fois l'temps de bâtir un roman…

Dans cette valse à mille temps, j'observe que les danseurs se marchent sur les pieds et sont assez mauvais. Ce serait juste un piètre spectacle si les agriculteurs n'en attendaient pas des résultats.

Qui va leur dire qu'en vérité la partition n'a pas été écrite pour eux ?

11 Commentaires

Bravo ;-)
Bravo monsieur pour oser dire la vérité
Génial !!!
Édifiant, mais pas étonnant!!
Je trouve la démonstration convaincante et vous rejoins sur le constat final: pas d’amélioration pour les agriculteurs au bout du bout... fort de ce constat, quel serait votre solution? Nous savons tous qu’il faut un nouveau partage de la valeur sur la chaîne...sur quels critères demain? Et une évolution des modèles de production...Je vois, sur la base de projets menés récemment. que certains acteurs de la grande distribution considèrent qu’ils ne sont pas forcément en première ligne dans les relations avec les éleveurs en ce qui concerne les grands sujets sociétaux ou de consommation (why not, c’est possible..)... mais quid demain? Un nouveau modèle de contractualisation peut-être? Le moyen/long terme est plutôt le temps réel du cycle agricole, peut il être celui de tous les autres acteurs? À vous lire. Très bonne soirée
Vous avez raison...qui va leur dire qu’en vérité la partition n’a pas été écrite pour...vous, autrement dit le groupement que vous représentez avec brio, verve et une apparente décontraction.
Qui sont les dindons aujourd’hui?
Les consommateurs toujours plus nombreux qui se rendent dans votre enseigne à la recherche des prix les moins chères ? Non
Vos adhérents qui roulent en très large majorité dans de puissantes et élégantes cylindrées étrangères qu’un français moyen ne pourrait pas s’acheter en épargnant 10 à 15 ans de salaires? Non
Il faut être fier de sa réussite sociale et vous avez de quoi l’être.
Mais alors qui finance votre succès?
Ceux là même que vous vilipendez...les industriels, les « grosses multinationales » dont vous rabotez inexorablement les marges en leur demandant (et je suis gentil) chaque année de vous vendre moins chère que les années précédentes.
Et pourtant, vous n’ignorez pas que le prix de l’eau, du gaz, de l’électricité....augmentent chaque année pour tout le monde!
Les délocalisations, les plans de sauvegarde de l’emploi, les concentrations ou « synergies », vous dites — ce sont les vilains actionnaires ! — facile et caricatural

La vérité, c’est que vous comptez sur la crainte et la peur que chaque industriel éprouve en imaginant un déréferencement de votre enseigne qui serait synonyme de perte d’environ 20% de chiffre d’affaires, à l’image de Coca, absent de vos linéaires en ce moment.
Et c’est de fait L’omerta, par cupidité, peut-être, par peur des conséquences sur l’emploi, sur son emploi, sûrement.

J’ai adoré votre groupe, loué son dynamisme, la créativité de ses adhérents, sa faculté d’adaptation, sa modernité...mais aujourd’hui vous allez trop loin.

Pour finir, les dindons? mon pére, ma mère, mon frère, ma sœur,...mes amis, mes voisins qui employés par une « grosse multinationale » finissent par se retrouver sur le « carreau » à cause de vos exigences assassines et nous sommes sacrifiés sur « l’hotel de la baisse de marge » que vous produisez.

Nous aussi, nous sommes des consommateurs, et nous avons de la mémoire.

Cordialement

CQFD! Les faux-nez ont fini par tellement s'allonger que les masques ont fini par tomber...
Le consommateur sera décidément toujours le gogo à qui il est impératif de reprendre la totalité de son salaire mensuel, de ses aides le cas échéant, en impôts, taxes et augmentation des prix de tout ce qui se consomment.
Ne les laissez pas nous entuber sur ce volet-là!
Merci
Si l'on vous suit -et c'est ce que je fais depuis quelques temps déjà sur le sujet, c'est embrouille à tous les étages!
Mais je ne comprends pas pourquoi le ministre Travert s'apprête à faire un enfant dans le dos des agriculteurs avec la bénédiction de la présidente de la FNSEA. Incompétence? Cynisme? Manipulation? Complot?
Il se pourrait que les agriculteurs se mettent à arroser de lisier non plus les préfectures comme à la grande époque, mais la maison du ministre et celles...de leurs représentants dévoyés.
J'allais dire "ça sent le sapin pour eux..." mais il faut plutôt dire "ça sent le purin..."
Belle démonstration (CQFD)
j'ai un peu d'expérience (35 ans) en tant que directeur commercial fournisseur auprès de la GMS et Je suis tout à fait aligné sur votre raisonnement.
Cet article de loi ne favorisera pas les revenus des agriculteurs, impactera les conso dans le prix de leurs produits préférés et n'améliorera pas (bien au contraire) les relations fournisseurs/distributeurs.

Si on ajoute à cette mesure inflationniste, l'effet baisse de promo et le démarrage du prélèvement à la source (impact psychologique du départ) le début de 2019 devrait être très difficile.

Si cela reste dans l'état cela aura tout l'effet inverse de celui recherché.

Mais restons optimiste .... c'est dans l'adversité que vous êtes les meilleurs. rappelons nous, que c'est suite à la loi Galland que vous avez inventé le ticket Leclerc.
Attendons la redaction définitive
ils y a plusieurs personne qui s"a pauvrise avec les augmentations
pour leurs alimentation et leur trajet visite de médecins avec l"augmentation de l"essence
ils devrais déscendre a notre niveau pour ce rendre compte que la vie n"est pas facile pour beaucoup de personnes.................
Bravo Mel, continuez de dénoncer toutes ces petites magouilles ! Qui d'autre le fait aujourd'hui ? Nous avons besoin de quelqu'un pour défendre les consommateurs, dindons de la farce et impuissant face aux gros lobbies. Merci.

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