ÉCONOMIE Enjeux de la distribution

Gaspillage alimentaire : big bang pour un pschitt ?

Je mets au défi les collectivités locales (cantines des écoles et des personnels, crèches, maisons de retraite, etc.) et les autres secteurs de l’économie de faire aussi bien que les enseignes de distribution dans la lutte contre le gaspillage, et je propose l’extension des sanctions pour refus de dons, votées hier, à tout le système de la restauration collective. Chiche ?!

Sur les ondes ça n’arrête pas : les députés « unanimes » ont voté l’obligation faite aux distributeurs d’arrêter le gaspillage alimentaire et de donner aux associations les denrées en date limite de consommation.

Il y a tout, tous les mots de l’imprécation : interdiction, obligation, sanction (jusqu’à deux ans de prison !), et tout cela à l’encontre de toute la distribution qui se voit ainsi encore une fois stigmatisée.

Tout ce vent … et décidément tout se vend, dans la société du spectacle de Guy Debord, même le politique, bravo Mister Garot !!!

Et pourtant, rien de neuf si l’on se réfère à la pratique de la plupart des enseignes, plutôt exemplaires en la matière. Rien de neuf sauf que le politique s’attribue l’action des distributeurs, auxquels il ajoute au passage, son pesant de paperasse, contrôle et sanction…au revoir la simplification administrative !

Bien évidemment, j’adhère aux mesures qui aident à lutter contre le gaspillage alimentaire et viennent en aide au formidable travail des associations avec lesquelles d’ailleurs les centres E.Leclerc travaillent tous les jours.

Avait-on vraiment besoin d’une loi ? Bof… au moins, profiterais-je de l’événement pour énoncer quelques considérations sur les grandes lignes des amendements votés hier :

Interdiction de javelliser les produits : c’est très bien, nous sommes pour. Mais au-delà de l’émotion que suscite une telle action, qui a cherché à évaluer le nombre de magasins qui la pratiquaient encore en 2015 ? Pratiquement plus personne ne détruit volontairement des produits encore consommables !

Par contre, attention, confusion !

Il y a des produits devenus inconsommables (risques de listéria, Escherichia coli, pourriture etc.) qu’il faut absolument détruire. Et ce que le droit de la santé impose de retirer de la vente (sous peine de déclenchement de la responsabilité du vendeur et de risque de contamination de la population), la loi sur la transition énergétique ne saurait s’y opposer.

Obligation de signer des conventions de dons avec des associations : les Banques alimentaires, les Resto du Cœur, le Secours populaire, le Secours catholique, le Secours islamique et toute une myriade de petites associations locales n’ont pas attendu les amendements Garot pour signer des conventions avec les magasins. D’un point de vue juridique, c’est même indispensable, tant les enjeux sanitaires sont importants.

Chez E.Leclerc, plus de 95% de nos magasins ont au moins une convention avec une association, et plus de 50% en ont trois ou plus !

Quand il n’y en a pas, ce n’est par manque de volonté, c’est parce qu’il n’y a pas d’association en face ! Il faut avoir conscience des difficultés du monde associatif. Collecter des produits carnés, des poissons ou des produits laitiers nécessite de disposer de camions réfrigérés, de chambres froides et de congélateurs pour le stockage. Ca coûte cher, toutes les associations ne peuvent se payer de tels équipements. Par ailleurs, un camion volé ou un frigo en panne, et c’est la ramasse qui ne peut plus avoir lieu. Et il n’y a pas forcément de solution alternative pour le magasin…

Donc des conventions, on les a déjà. La loi dit qu’il faut en avoir, nous sommes heureux d’avoir devancé de quelques années les recommandations nationales !

Et les autres secteurs, principaux gaspilleurs ?

S’il y a bien un secteur où la lutte contre le gaspillage alimentaire a fait de sérieux progrès c’est dans la distribution. J’aurai d’ailleurs l’occasion de l’illustrer concrètement la semaine prochaine, vous verrez (teasing) !

Selon le ministère du développement durable, la source majeure du gaspillage alimentaire, ce sont les ménages français (67%), suivis par la restauration collective (15%) et la grande distribution (11% selon le ministère, 5% selon la Commission européenne).

Quels sont donc les amendements qui traitent avec autant de « courage » et imposent des mesures énergiques voire coercitives pour les ménages, les restaurants, ou les cantines ?

Vous allez me dire que c’est plus complexe ? Assurément, la distribution c’est plus facile…puisque c’est déjà en route !

Le lien pervers entre la lutte contre le gaspillage et le don aux associations

Personne ne gaspille par plaisir. Dans un hyper, s’il y a du gaspillage, c’est que vous n’avez pas assez vendu ou que vous avez trop acheté. Quel commerçant ferait du gaspillage sa politique ?! Peut-on imaginer qu’on gaspille par intérêt et a contrario, comment peut-on imaginer que c’est par la loi qu’on réduira le gaspillage ? En réalité, c’est par le professionnalisme et la formation qu’on apprend à mieux gérer un stock, c’est le B-A BA du métier auquel sont régulièrement sensibilisés les chefs de rayons.

Que faire des invendus ? Deux solutions : les vendre à prix cassés, et/ou les donner à des associations de solidarité. Quand on les brade, il y a des preneurs. Nombre de magasins le font déjà.

Mais au fur et à mesure de l’amélioration de la lutte contre les invendus, on réduit le potentiel de dons aux associations.

Derrière le paradoxe, l’absence de politique publique

Aujourd’hui, ce sont bien les invendus qui « alimentent » l’aide alimentaire. Chez E.Leclerc, les dons totaux représentent 24.000 tonnes pour l’ensemble des associations, soit l’équivalent de 50 à 60 millions de repas, dont 6000 tonnes pour les seules Banques alimentaires (20% de leurs collectes).

Si l’on réduit le stock d’invendus (ce qui est effectivement souhaitable, commercialement et moralement), a-t-on conscience qu’on tarit la source de dons ?

On se souvient de l’émotion générale quand l’Union européenne avait annoncé sa volonté de réduire ses crédits à l’aide alimentaire.

Le rapport Garot et le vote des députés (qu’ils me permettent de le leur faire remarquer) font bien l’impasse sur ce que devrait être une politique publique de soutien aux associations. Se focaliser sur les dons, n’est-ce pas, pour l’Etat et ses collectivités, une manière un peu hypocrite, de refuser de s’investir dans la partie principale du problème ?

 

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