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Georges Wolinski : « Je ne suis pas un auteur de BD ! »

Depuis une quinzaine d’années, nous nous croisons : dans des halls d’hôtels, lors des festivals, ou sur un plateau de TV. Ensemble, nous avons commis quelques frasques publicitaires. Je crois que nous nous aimons bien. La semaine dernière, j’étais chez lui. Nous avons parlé près de deux heures : debriefing rapide sur le festival d’Angoulême dont il a assuré la présidence pendant un an, digression sur la création BD récente (il adore le dessin rapide de Sfar et plus généralement la bande de l’Association).

Dans son vieil appartement (quartier Saint-Germain bien sûr, c’est un homme de lettres), il n’arrête pas de se lever et de commenter les dessins accrochés aux murs. Ils sont tous là, ses amis : Cabu, Fred, Cavanna, Willem. Et avec leur histoire, c’est plus de 45 ans de publications qui défilent : Hara-kiri (où il est entré en 1960), L’enragé (qu’il a fondé), Charlie Hebdo, l’Huma, Libé, Le Nouvel Obs, l’Echo des Savanes, etc… Georges a publié plus de soixante-dix ouvrages, et ses dessins se comptent par milliers. Beaucoup d’illustrations aussi (pour les éditions Jean-Jacques Pauvert, Losfeld, etc…). « Mais je ne suis pas un auteur de BD, je suis un dessinateur humoristique et politique. » La BD, pourtant, il connaît. De 1970 à 1981, alors qu’il était rédacteur en chef de Charlie Mensuel, il n’eut d’autre obsession que de faire redécouvrir les auteurs américains (le fabuleux Krazy Kat) et la BD de création (Crepax, Muñoz, Sampayo, Jacovitti, etc…). Il a lui-même scénarisé le « Paulette » de Georges Pichard (et c’était pas triste !). Mais franchement, passer un an ou deux sur la même histoire, c’est pas son truc. Ne croyez surtout pas qu’il fasse la fine bouche. Ni qu’il soit gagné par quelque amertume après les premières ventes un peu décevantes de sa dernière BD (Une vie compliquée –Albin-Michel). Forcément, il est un peu déçu. Mais s’il baigne dans la culture du neuvième art, il rattache son travail à l’héritage d’un Daumier, de Dubout, au compagnonnage d’un Cabu, de Reiser ou de Pétillon. Il aime dessiner vite (son graphisme est finalement très exigeant) et réagir à l’actualité politique en se laissant guider par les contraintes d’un quotidien, d’un hebdo. « Je travaille seul, mais j’aime l’équipe rédactionnelle. Cavanna lançait l’idée, j’aimais suivre. Si je n’avais pas la contrainte de publier, je ne dessinerais pas autant. Je suis un peu paresseux ». Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il était à Charlie Hebdo. Je venais de signer la première convention avec le Festival d’Angoulême. A la première remise des prix, ses copains m’avaient sifflé. Gonflés, les gars ! J’apportais 3 millions de francs pour sauver le plus important festival français dont le présumé bailleur (le maire socialiste) était parti avec la caisse. Pour Choron, j’étais « le grand capital ». Wolinski lui a gentiment tapoté sur l’épaule, sans élever la voix, pour lui rappeler l’état des comptes. Une dizaine d’années plus tard, c’est Jacques Séguéla qui nous a réunis pour une campagne de communication sur la publicité comparative. Madame Neiertz, alors Ministre de la Consommation, n’en avait pas compris le danger. Wolinski l’a mise en scène, en comparant le prix du pain, des bijoux et des carburants. Tout le monde pensait que ça allait être la guerre entre grandes surfaces. En fait, la pub comparative les valorisait (et nous en premier). Les petits dessins de Georges ont agi comme des coups de poing. Pugilat chez Dechavanne : à Séguéla qui expliquait le pourquoi de notre interpellation, la Ministre eut cette réplique hilarante : « Vous auriez pu m’avoir pour moins que cela ». S’il a le trait caustique, Georges est toujours attentif à son interlocuteur. C’est un homme cultivé, bien qu’il se définisse comme autodidacte. C’est un pur produit des rives de la Méditerranée, véritable recueil d’anecdotes, de personnages et de caractères. Son engagement est plus viscéral qu’intellectuel. Sa bouche prend la forme d’un rictus quand on évoque l’impact des religions sur la vie sociale. S’il a des origines juives, il martèle qu’il est français et qu’il aime notre constitution laïque. Anticlérical ? Assurément, mais toujours avec une bonne dose d’humour (une statue de nonne a trouvé place dans son salon !). La politique ? De gauche évidemment, mais version soft. Les grands crachats révolutionnaires ne l’impressionnent pas. Il a l’humilité de replacer sa collaboration à l’Humanité dans son contexte historique et matériel (la finance, les copains… et on ne voulait pas vraiment voir). Il dézingue avec enthousiasme la classe politique, mais il a ses coquetteries : un dîner avec les Chirac à l’Ile Maurice , un Chirac qui lui a remis lui-même une jolie médaille. Mais son sujet de prédilection, ce sont les femmes. Sa mère…, une première épouse dont l’évocation continue de lui nouer la gorge. Sa femme, Maryse, soyeuse et douce, qu’il encense. « J’ai dessiné un de ses livres, mais elle ne tient pas trop à cette collaboration professionnelle, elle ne veut pas qu’on dise qu’elle écrit des romans d’humour ». Il y a sa fille aussi, pétillante autant que people, dont il a souvent croqué les humeurs. Et toutes ces femmes enfin qui sont les vraies héroïnes de ses dessins. Elles ont le beau rôle, elles ridiculisent leurs hommes, et lui, il s’éclate. Il a des yeux qui deviennent des clignotants quand d’un trait il dessine le sexe d’une femme, ou au contraire, le dissimule d’un « petit tablier de poils ». Il devient même coquin et gourmand, en ouvrant un carnet de croquis : « des Russes toutes mignonnes, avec une peau homogène et des corps superbes… ». Question de sexe ou tout simplement de tendresse, Georges est, au moins sur le papier, une sacrée référence. Mais ne vous y trompez pas, Mesdames ! La statue lascive d’une femme Bouddha, posée au milieu du salon sur une table basse, lui sert manifestement…de repose-pieds ! A bon entendeur !

5 Commentaires

Une figure tantrique a ses pieds! On n'en demandait pas moins a Wolinski!!
Très content de vous trouver dans la blogosphère et encore plus sur un sujet qui nous rassemble !
Re Ylej (10/07/05) – Re Florence Jean (09/07/05)
J’ai l’intention, à la rentrée, de développer considérablement les pages BD de mon site, de les ouvrir à des contributions extérieures. Sur ce blog, je vais continuer à relater quelques jolies rencontres. N’hésitez surtout pas à me suggérer vos coups de cœur et vos remarques. Pas de problème non plus pour les coups de pouce aux jeunes éditeurs, aux fanzines, etc…
Puisque vous le proposez...
Connaissez-vous Serge Cessart? Charentais comme moi (il habite à Génac - 16), il a la main heureuse et un beau coup de crayons ...
Après quelques années dans la pub, il s'est finalement essayé dans un premier album - La Cité Hun, Les aventures de Zée la Fée - 2003 (textes de Philippe Beynaud) et a créé alors sa propre maison d'édition (Cess'art éditions).
Je suis un peu loin et n'ai pas tout suivi. Mais je crois que les contraintes du quotidien l'ont un peu rattrappé...
Wolinski sur la fidélité" je préfère faire des choses différentes avec la même femme, que toujours la même avec des femmes différentes".
j'adore ce type! et Reiser nous manque.

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