Serge Dassault Décès
SOCIÉTÉ Actus / Débats

Disparition de Serge Dassault

Serge Dassault : il faut oser dire les choses clairement.

Peu d’hommes politiques, peu de chefs d’entreprise, revendiquaient l’avoir pour ami. Il fascinait la gauche mais c’est à droite qu’on manifestait plus fortement une gêne. J’ai souvent vu ministres ou élus levant les yeux au ciel, anticipant ses "sorties", ses remarques à l’emporte pièce, son parler cash et ce son mâchouillé souvent inaudible.

Et il faut reconnaître que s’il prenait la parole, ce n’était pas pour la transmettre.

Je l’ai pas mal côtoyé. Après l’échec de Giscard, le parti Républicain faisait de la retape pour avoir quelques patrons dans ses universités d’été. J’ai fait partie d’un quarteron souvent sollicité, aux côtés de Francine Gomez (Waterman), Claude Heurteux (Auguste Thouard) ou Serge Dassault … Je me rappelle de l’air hautain et de la distance recherchée par Simone Veil ou Jean François-Poncet, contrairement à Jean-Pierre Raffarin qui savait s’attendrir lorsque Serge l’ouvrait.

Mais je peux témoigner d’un respect fortement partagé et réciproque entre Serge Dassault et ses cadres. Au Bourget, à Farnborough, c’est avec eux tout autant qu’avec ses clients qu’il passait son temps. Au décès de mon beau-père, Jacques Jesberger, pilote d’essai chez Dassault, il a partagé l’hommage, et suivi le cercueil.

Décalé, il l’était complètement. Lors du premier déplacement de Lionel Jospin en Pologne, il coupait la parole au Premier ministre pour essayer de caser un Falcon à notre hôte jusqu’à ce que ce dernier l’invite à se rapprocher de moi pour réviser ses tarifs (authentique, Pierre Lescure pourra témoigner !).  

Aux Tarterêts, il voulait un centre E.Leclerc. Notre enseigne visait un autre site à Corbeil. Il bloqua le second pour nous obliger à considérer son projet. J’ai plusieurs fois fait le tour de la cité à bord de sa Renault Espace. Le projet est tombé à l’eau, mais j’avais déjà rencontré la moitié des habitants du quartier et je confirme qu’il avait un vrai attachement à sa ville.

C’est dingue comme on véhicule facilement des stéréotypes. C’est sûr que Serge est un personnage de BD et qu’il a lui-même cultivé son côté bourru, fonceur, sans gêne. Moi j’ai toujours pensé que c’était d’abord une manière de surmonter sa timidité et que cette fausse distance n’empêchait ni l’émotion, ni la générosité. Au final, il aura donc fallu qu’il décède pour que la classe politique, quasiment unanime dans ses réactions, lui reconnaisse une vision (digitalisation du Figaro, la belle réussite de Dassault Système, l’exploit des Falcon…) et lui brosse enfin un portrait de capitaine d’industrie.

5 Commentaires

Bonsoir MEL, ces anecdotes sont savoureuses et nous changent, ou plutôt complètent les discours stéréotypés (encore plus grand mort que vivant) qui fleurissent de tous bords.
De toute évidence, un personnage!
Merci de partager ces témoignages.
J'adore l'histoire polonaise!
Pas parce qu'elle pourrait être comprise à votre avantage, mais parce qu'elle montre qu'il semble que Serge Dassault ne lâchait rien, devant personne. L'objectif, vendre ses produits, premiers ministres présents ou pas. Quel bonhomme tout de même, le sens des priorités...
Ca ne lui a rien rapporté de couper la parole au Premier ministre, la Pologne a acheté des avions américains Gulfstream, et pas des Falcon
votre message complète le beau moment d émotion hier soir dans l émission Zemmour & Nauleau, avec un Olivier Dassault les larmes aux yeux face a un Jean Pierre Chevenement majestueux
Penser que cet homme a fait cette carrière avec cette vision et cette capacité d'entraînement à partir de la 60aine. Un âge où beaucoup se croient, à tort, inaptes à apprendre et bâtir encore. Ceci dit sans plaider pour un report exagéré de l'âge de la retraite, ou voir dans le travail le seul accomplissement envisageable pour une existence.

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