Le prix de la rue

L'intervention du chef de l'Etat au lendemain de la manifestation du jeudi 10 mars m'a laissé pantois. J'imagine que Renaud Dutreil, devenu Ministre de la Fonction Publique, a eu du mal à encaisser le coup. Lui, disait ne plus avoir d'argent en caisse et pensait pouvoir maîtriser la négociation salariale dans l'administration. Las, de peur que l'agitation sociale ne vienne perturber le résultat du référendum (son référendum), Jacques Chirac a voulu qu'on lâche du lest. Illustrant une fois de plus la dérive des institutions, il a mis le gouvernement dans l'obligation d'accorder 1 % d'augmentation. Allez donc négocier derrière ça. L'initiative présidentielle suscite trois commentaires : 1) Le pouvoir est sur la défensive, uniquement réactif. Il n'a pas senti le mouvement social, il n'a pas cru aux chiffres (dont les nôtres sur l'inflation et le pouvoir d'achat) et il a fait l'autruche. Rattrapé par la rue, il n'a d'autre solution que de lâcher la bride. 2) Voilà sept ans qu'un gaulliste est au pouvoir. Le symbole social le plus marquant de l'histoire du gaullisme, ce fut la participation. Un système unique en Europe. Vraiment moderne. On aurait pu imaginer que la droite en fit son étendard dès son élection. Non, la relance de la participation, ce sera la réponse aux manifestants. Trop tard ? 3) Tactiquement, tout est faux. Que retient-on ? Que la rue est incontournable et que dans les ministères, on est focalisé sur les sondages. Déjà, par frilosité, on avait tendance à minimiser les projets de réforme, au risque de ne pas les rendre lisibles. Mais si, en plus, on revient en arrière et on abandonne, en cours d'exercice, les comptables et les gestionnaires à qui l'on avait demandé de fermer le tiroir-caisse, on casse tout. Aux échecs, il arrive qu'on accepte de sacrifier les pions pour protéger le roi. Mais quand on perd une à une les pièces maîtresses, on peut faire mat, mais on ne peut pas prétendre gagner.