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Rumeur sur Danone : L’illusion d’un capitalisme national

Les réactions de la plupart de nos élus à la rumeur d’une OPA hostile sur Danone peuvent émouvoir une partie de la population française touchée par le syndrome d’Astérix (le village gaulois en lutte contre la finance internationale). Mais sur le fond, que valent toutes ces déclarations, ces fausses promesses, alors que tout le monde sait l’incapacité de l’Etat à agir… Du clientélisme, rien d’autre. Revenons sur cette affaire : 1) Il y a rumeur. Des rumeurs sur Danone, il y en a depuis 40 ans. Franck Riboud, dans Les Echos, le confirme ce matin encore : Danone a toujours été opéable. C’est la rançon d’une belle notoriété, d’une performance méritée. Le groupe est bien géré. Il attise les convoitises : Pepsi Cola, Nestlé, Kraft, Coca Cola, Unilever…, bien plus gros, lorgnent la jolie fiancée. 2) Danone n’est plus, depuis longtemps, une entreprise franco-française. Ses actionnaires traditionnels sont italiens, belges, espagnols, suisses… Mais ils habitent aussi les Bermudes, les USA, le Japon, etc… Cette stratégie a été voulue par Antoine Riboud (le père) et développée par le fils (Franck). Pour conquérir les marchés étrangers, quoi de mieux qu’une association avec des groupes capitalistes locaux. La réussite internationale de Danone « c’est la capacité à s’allier à des groupes familiaux dans différents pays ». La marque est française, Danone n’en est pas moins un groupe mondial. 3) Le capital de Danone est dilué. C’est le prix d’une stratégie de développement. C’était aussi, affirmaient ses managers, une manière de rester indépendante (à l’inverse de L’Oréal qui a constitué un noyau dur Bettancourt/Nestlé). Cette stratégie s’avère aujourd’hui pénalisante. 4) Enfin, Danone a su, dans son histoire, habilement profiter de l’ouverture des marchés. Sans états d’âme. Quand elle vend des yaourts en Pologne, ça fait belle lurette qu’elle n’achète plus son lait aux paysans français ! Et quand il s’agit de racheter un concurrent, elle sait faire fi des critiques locales sur sa propre immixtion dans le capital des sociétés étrangères (Dieu sait combien les patrons italiens de l’agroalimentaire voient dans Danone un dangereux prédateur !). Danone, comme L’Oréal, Renault, Dassault ou Carrefour, sont des entreprises qui suscitent la fierté des Français. Justement parce que ces entreprises sont devenues mondiales ! Les élus qui abusent de la nostalgie souverainiste, n’opposent aucune alternative. Même le PC n’ose plus parler de nationalisation. Si rien n’empêche une politique industrielle volontariste (prise de participation institutionnelle), rien, à long terme, ne peut empêcher une entreprise d’être revendue par ses actionnaires. Ceux qui parlent aujourd’hui de « défendre Danone » (qui n’a rien demandé ! ! !) seraient bien en peine d’expliquer quelle fut leur politique pour s’opposer au rachat, par les fonds de pension américains, de 40 % du capital des sociétés cotées au CAC 40. On ne les a pas entendus non plus pour proposer des alternatives au rachat récent des plus beaux fleurons de l’industrie française du ski (Rossignol). François Hollande, Laurent Fabius, DSK, Jean-Louis Borloo ou Patrick Ollier ont peut-être des accents de sincérité dans l’expression de leur émotion. Mais au moment où Thierry Breton lance un appel d’offres international pour privatiser les autoroutes françaises, on a peine à croire que le gouvernement et l’assemblée plaideront pour le retour à un contrôle national des mouvements de capitaux ! ! ! Pour autant, doit-on, comme Renaud Dutreil, considérer que « l’Etat n’a pas à s’immiscer dans les affaires des entreprises privées ». Non, je ne le crois pas. L’Etat dispose de moyens pour agir sur l’environnement financier (subventions, allègement de charges) et sur la législation sociale pour créer une forme de discrimination positive. Il peut chercher à jouer les mécanos (Nicolas Sarkozy avec Alsthom), mais la priorité sociale, aujourd’hui, c’est l’emploi. Sauf à faire déraper le déficit budgétaire, ce ne sont pas les services publics, mais les entreprises privées qui y pourvoiront. Ce qui importe, ce n’est pas tant leur nationalité (ça n’a vraiment plus de sens quand on parle de Société Anonyme), mais leur capacité à investir dans notre pays. C’est l’attractivité du marché français qu’il faut accroître (je ne parle pas seulement de fiscalité ou de charges mais aussi de cadre de vie). Dans ce contexte, la suspicion sur les investisseurs étrangers ne peut être que contre-productive. Je me demande même jusqu’à quel point toutes ces diatribes ne pourraient pas fragiliser encore plus la position de Franck Riboud au sein d’un Conseil d’administration dont les actionnaires français de référence ne possèdent pas 10 % du capital !

8 Commentaires

Le premier à avoir laissé entendre une OPA sur une enreprise française de premier plan est le prez dans son discours du 14.07
mmmmmh l'action a bien monté depuis.
Effectivement rien d'emouvant la-dedans .. Les interets croises de cette transnationale sont tellement importants qu'on ne voit pas trop les consequences d'une OPA sur Danone aujourd'hui au niveau du pays ...
D'autant plus si tout cela n'est qu'etat de rumeur encore a ce jour ...
La question qu'il faudra se poser et sur laquelle nos politiques devraient eventuellement plancher c'est : quelles sont les intentions en terme de strategie de deploiement (ou au contraire de reduction) des activites de Danone sur le sol francais ... europeen par extension.
Vous allez voir qu'on va entendre parler de la qualite douteuse du lait des vaches polonaises dans peu de temps :D.
Au fait mes Vaches qui Rit moi, a Maurice, elles sont produites en Pologne !!! Ben elles ont le meme gout qu'en France ... Bel, c'est bien et encore francais non ?
Bonjour Michel-Edouard,
Ca valait le coup de me faire attendre, je trouve l'analyse très juste. Notamment sur la contradiction avec la vente des autoroutes que je m'étais moi-même faite, le charme de Claire Chazal n'ayant pas su me faire oublier la première info à l'annonce de l'autre.
A demain au téléphone ;)
Yannick
Un point plus inquiétant peut-être dont on parle de plus en plus mais peut-être pas assez : la mainmise des étrangers sur les PME françaises... là où il y a un savoir-faire ...
Quelques chiffres et un article très intéressant dans le N° du mois de juin de L'entreprise.
On y apprend ainsi que sur ce qu'il appellent les "300 belles affaires françaises (entre 8 et 15 millions d'euros de CA annuels)" vendues entre 95 et 2003, près de 10% seulement ont conservé un actionnariat français ...
D'autres infos plus croustillantes encore sur les répercusions sur l'emploi : réduction des effectifs 3 ans après dans 75% des cas.
Principal facteur incriminé : les droits de transmission en France (près de 40% de la valeur de l'entreprise contre une moyenne de 11% en Europe - 0% en GB, 11% en Allemagne, 4% en Italie ...).
On comprend pourquoi la transmission des entreprises est à l'ordre du jour de nos politiques! N'est-ce pas un peu tard ?
OK sur le fond : Danone est déjà largement transnational et donc que son capital appartienne à des Français, des Suisses, des Belges ou des Américains c pas vraiment un sujet d'inquiétude.
Ce qui l'est plus en revanche est que les grands groupes utilisent l'OPA pour:
1/ Gagner des PDM rapidement.
2/ Réduire la concurrence à laquelle ils ont à faire face.
Comme vous le signalez Danone est une entreprise bien gérée et qui, à priori, n'a pas besoin du soutien financier d'un autre groupe pour continuer à vivre.
Alors quel est l'intéret pour Danone de passer sous le contrôle de Pepsico ?
Que va faire Pepsico sur les segments sur lequel il est djà en concurrence avec Danone ?
Au fond cette tendance de regroupement qui a lieu dans tous les secteurs n'est-elle pas dommageable à l'économie sur le Moyen terme ?
En tout cas pour l'emploi il me semble qu'il existe un risque clair.
Mais le plus énervant dans tout celà est que ce type d'affaire ebranle un peu plus le modèle social français. On entend déjà de nombreuses voix signaler que si seulement la France avait des fonds de pensions, nous n'en serions pas là...
En gros la question de fond que se posent tous ceux qui sont inquiets de ce rachat est: Devons nous abandonner notre modèle social sous la pression international ? Devons nous accepter absolument toute les règles du jeu du capitalisme Anglo-Saxxon ?
Voilà le vrai débat... Le nationalisme n'est plus ce qu'il était et la nationalité des actionnaires n'inquiète que si elle semble remettre en cause un modèle social.
Re à tous
Je suis 100% d’accord avec Florence Jean. Il faut faciliter la transmission des entreprises, et notamment des PME, du vivant des dirigeants. C’est à cette condition que leur développement pourra s’appuyer sur un vivier de repreneurs nationaux. Beaucoup de cadres seraient intéressés. Mais malgré l’intérêt de certaines formules (LBO), les coûts, les risques et les modalités de refinancement rendent les choses souvent inaccessibles. Voilà pourquoi trop souvent, ce sont les grands groupes qui avalent les PME. Danone, Besnier, Bongrain, se sont construits comme cela.
Mais dès que l’on parle concrètement de faciliter la transmission du capital, on a en France une levée de drapeaux rouges (« Pas touche à l’ISF, pas de cadeau pour les riches »). Dans ce contexte, les grandes entreprises étrangères jouent sur du velours pour racheter nos jolis fleurons nationaux.
Reste, qu’en comparaison objective, les entreprises françaises ne sont pas manchotes non plus : Cf. rachat par Pernod-Ricard du troisième groupe mondial de spiritueux, acquisition par Carrefour des chaînes discount de REWE, acquisition récente de Saint-Gobain… Dans certains secteurs (luxe, distribution, et même agro-alimentaire), c’est nous qui faisons office de prédateurs. Sachons, comme le souligne Ylej, ne pas tomber dans la contradiction.
Enfin, a2lbd a raison. Quelle que soit sa nationalité, quand une entreprise en rachète une autre, elle supprime les doublons. Il y a toujours un impact négatif sur l’emploi, ne serait-ce qu’à court terme. C’est la raison pour laquelle il faut mettre nos entreprises en situation d’être proactive, plutôt que de devoir rester sur la défensive, même avec toutes sortes de systèmes juridiques de protection anti-OPA. Mais sur ce point, que de tabous. Dès que l’on parle de constituer des grands groupes à taille européenne (même dans l’audio-visuel ou la presse), là, ce sont les PME qui y voient des monopoles et saisissent les instances anti-trusts. Pas cohérent non plus tout cela.
re: mel
1/ Héritage
L'hritage est l'instrument qui par excellence fait perdurer l'inégalité sociale. Considérons un instant que les enfants des personnes "aisées" socialement reçoivent déjà et dès leur naissance un héritage culturel fort. Non seulement ils vivent dans un environnement qui leur permet un meilleur accès à la culture, ayant des parents qui ont plus de livres, les emmennant à plus d'expo, à plus de concerts, qui leur offrent enfin plus de soutien scolaire que les enfants des classes "dévaforisées", mais en plus ils bénéficient d'un réseau de relation plus important pour lancer leur carrière professionnelle.
Donc nous savons que l'idéal "les hommes naissent libres et égaux" est faux. Heureusement les pères de la déclaration des droits de l'homme ont rajouté "...en droit" afin de donner un semblant de vérité à cette affirmation de base.
Maintenant qu'en en plus de leur avantage comparatif de départ, cette catégorie sociale touche un pactole, qui n'est en aucun cas la réalisation matérielle d'un quelconque mérite, on peut alors considérer qu'ainsi les inégalités perdurent et que l'accaparement des richesses dans les mains d'un petit nombre est inéluctable.
Or heureusement l'état joue son rôle et essaie de corriger ce défaut de l'économie marchande par l'impôt et les droits de succession.
Je ne suis personellement pas choqué que la famille Taittinger ait eu à vendre les parts qu'ils détenaient dans le groupe du même nom. C'est contrairement à ce qu'ils annoncent leur incapacité à d'une part créer de la valeur supplémentaire qui aurait justifié leur héritage et leur aurait permis de générer suffisament de cash pour tous payer leur impôts, et d'autre part aussi leur incapacité à se mettre tous d'accord pour rester solidaire et trouver des solutions qui permettent à tous les membres de la famille de payer ce qu'ils doivent...et de continuer à vivre plus que confortablement.
Pour ce qui est de la protection des PME face au grand groupe, une solution que l'on peut envidager serait de baisser les droits de succession pour les entrepreuneurs qui décident de ventiler le capital de la société qu'ils ont créée entre leurs héritiers et leurs collaborateurs. Car enfin qui a plus participé à la croissance de l'entreprise, le fils ou la fille de l'entrepreneur ou ceux et celles qui ont travaillé avec lui pour la construire ?
Si un certain % du capital de la société est alloué à un compte "employé" quite, pour la bonne marche de l'entreprise, qui a quoi qu'on dise besoin de leader, à ce que les droits de vote sur ce compte soit moindres, alors je gage que la PME ne sera pas forcément vendue.
Pour ce qui est des micro entreprise de 1 ou 2 personne, il me semble que les montant en jeu ne sont pas si important qu'ils justifient l'assujétissement à l'ISF...mais je peux me tromper.
L'ISF s'il ne rapporte pas d'argent à l'état me parait être un instrument valable de répartition du patrimoine national. Il a bien sur des défauts comme le montre le cas des propriétaires terriens de l'île de Ré qui en ayant des revenus qui n'ont rien de mirifique commencent à rentrer dans la base de calcul. Celà effectivement est un problème mais qui peut être régler par une application compréhensive de la loi.
2/ groupes Européens
Personellement j'appelle de mes voeux la formation de grands groupes européens. Cependant force est de constater à la suite du référendum que de nombreux Français continuent de souhaiter une politique économique favorisant le national.
Il me semble dès lors que tant que l'Europe ne se met pas à discuter sur des grands axes de progressions sur des objectifs sociaux, l'idéal de grand groupe européen pouvant jouer les leaders et entrainer à leur suite une dynamique économique Européenne, restera à l'état de songe.
Re a2lbd (26/07/05)
Je ne suis que partiellement d’accord avec vous, notamment sur cette question de l’héritage. Les droits de succession, et l’ISF, renchérissent forcément les coûts d’acquisition pour des repreneurs français. Même si on crée des fonds de pension et une manière de conforter le capital des salariés dans l’entreprise, tout cela devient trop cher pour des entreprises à taille nationale, ne bénéficiant pas de la capacité de minorer les impôts.
Autant je pense qu’il est normal que les riches paient un important impôt sur les revenus, autant l’impôt sur le capital est une ineptie. Son rendement est faible. Il a l’apparence de la justice sociale, alors qu’en fait, il contribue à diluer les patrimoines.
L’idée, enfin, de « répartir équitablement le patrimoine national », me paraît une ineptie. J’adhère à l’idée de rendre accessible tous droits à la propriété. Mais obliger des propriétaires, qui entretenaient ce patrimoine, à le céder du fait de l’impôt, ou à le morceler, me paraît moralement, socialement et économiquement indéfendable.
Je mettrais aussi un bémol sur l’appréciation de la notion de groupe européen. Comme vous, je ne crois pas que ce soit un idéal compatible avec l’ouverture internationale des marchés. Reste qu’il n’y aurait pas eu Airbus ou l’Aérospatiale sans la volonté commune des pays de l’UE.

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