
De lui, j’appréciais les dessins à l’encre de Chine que publie, une fois par semaine, Le Monde ou Le Journal du Dimanche. Un squelette de cargo (dont la proue ressemble à un requin) déverse un sang noir et visqueux qui souillera nos côtes ! Une locomotive dévastatrice menée à un train d’enfer par un groupe de spéculateurs, écrase sur les rails les corps (devenus traverses) des humains hagards et désemparés. Ou encore…un écrivain poursuivi par les pointes de multiples stylos à plume… Quel monde étrange ! L’homme y fait la bête, la bête questionne l’homme, et la terre finit par réclamer une trêve. Les dessins de Nicolas Vial nourrissent, certes, des thèmes de commande pour illustrer la lutte pour les libertés, contre la pollution, ou la défense de la culture. Mais Olivier Frébourg qui préfaçait récemment le catalogue de Nicolas Vial au Musée de la Marine, n’hésitait pas à rappeler à quel point cette œuvre est nourrie des propres fantasmes de l’auteur.
Le Monde, 21 janvier 2000
« Chez Vial, la mer…est un champ universel, la scène originelle où l’homme se montre à nu…l’univers impitoyable de la réalité brute, à la fois métaphore de la condition humaine et lieu de métamorphose ». NV est, tour à tour, Capitaine Nemo, Corto Maltese, Edgar Poe, Blaise Cendrars. Paraphrasant Victor Hugo dans
« Les Travailleurs de la mer », il confirme : « L’eau est pleine de griffes ».
Il a aussi illustré beaucoup de livres. C’est en les feuilletant que j’ai découvert une autre facette du personnage : son humour. Dans
« Un rhino c’est rosse » (éditions Eden, 2001), dans
« La loi de la lagune » (éditions Seuil Jeunesse, 1997),
« Matou miteux » (idem, 1994), ou encore
« Le grand livre des monstres » (éditions de La Martinière Jeunesse, 2002), il se lâche et délire franchement. Une bande de chats, manifestement braillards et cyniques, fait la course avec des loups. Ils parcourent, à toute vitesse, la lagune de Venise au volant de superbes Riva. A quai, planqués dans d’incroyables baignoires, des poissons aux écailles métalliques assistent, ébahis, à l’invasion de leur territoire. Finalement, le message est le même que celui des dessins publiés dans la presse. Mais avec de la couleur et la cocasserie en plus, ça fait toujours mouche.
De lui, je n’aurais pas connu le peintre si, toujours en quête d’une bonne BD, je n’étais rentré, par gourmandise, dans la galerie de Frédéric Bosser, rue Dante. J’ai tout de suite ressenti le choc. Sur le mur, des grandes toiles où des paquebots tiraient avec rage sur leurs amarres comme d’énormes poissons qu’on aurait voulu haler sur les quais. (Allégorie probable de la situation réelle de l’artiste, ligoté dans sa vie quotidienne, retenu dans un réseau inextricable de cordages alors qu’il aspire à prendre le large…).

En face, sur les autres toiles, on dirait que le temps s’est arrêté. Un havre de paix se blottit à mi-pente d’une dune. Une petite maison en bois se mire dans le bleu argenté des flaques, à marée basse… Sur l’une, il pleut des poissons. Sur une autre, un homme solitaire y revient discrètement méditer sur son passé…

Je me suis retourné vers Frédéric Bosser et, spontanément, je lui ai dit : « Mais je connais cette maison, je connais ces paysages, j’ai vécu dans cette lumière ». Il a souri, et le lendemain, nous étions autour d’un plat de pâtes avec Nicolas Vial.

Il aura fallu une heure. Une petite heure pour se souvenir et tout remettre au pot. Nous avons le même âge. Nous avons passé nos vacances, hiver comme été, sur ces mêmes rivages. Nous avons vécu des journées entières à ne rien faire d’autre…qu’à regarder cette maison, le sable qui l’entoure et les couleurs changeantes des cumulus voyageurs. C’était à Kerlouan, à Keremma, au Vougot, et jusqu’à Carantec, dans notre Finistère-Nord, là où des paysans marins partent le matin, aux mortes eaux, pour arracher les algues qui poussent sur les fonds. Et quand vient le soir, ils remontent, tirés par de puissants bourrins, des charrettes dégoulinantes de varech (matière première iodée qui servira d’engrais ou de matière cosmétique) pour le faire sécher, plus haut, sur les joncs.

Même ce bateau, « la Mélanie », maintes fois dessiné par lui, je l’ai connu, amarré ou sous toile, avec ses voiles couleur de vareuse.
De la rencontre, une amitié est née. Deux parcours souvent commentés à la terrasse d’un café et passés au crible de la sensibilité de l’autre. A tel point que nous avons nourri un projet commun : après le livre que lui a consacré Eric Fottorino, « Lire tue », c’est moi qui co-signerai la publication de ses dessins sur l’environnement.
La peinture, c’est devenu son Moby Dick, sa quête du calamar géant. Tel le Hollandais Volant, il n’en finit pas de parcourir la toile. Du crayon au pinceau, il y a un gouffre. D’autres que lui s’y sont essayés et s’y sont perdus. Lui, s’y attelle depuis dix ans. Il y a des œuvres que j’aime moins, trop oniriques, trop fouillis. Et puis d’autres, comme des éclairs de génie, puissantes et belles.

Dans son atelier, devant le chevalet, il prend instantanément et inconsciemment un air de Modigliani (le regard lumineux et presque fou quand il pose sa couleur). Mais son inspirateur reste Chirico. Figuratif mystique, il revendique un univers insolite, un bestiaire impressionnant de banals animaux qu’il sait transformer en véritables monstres. Et des tas d’objets insolites, aussi. Des dinky toys (il en a toute une collection) aux élégants panamas dont il affuble ses personnages. Les hommes errent souvent, sans visage apparent. Ou alors, dans l’ombre de grands chapeaux. Tiens, au fait, il n’y a jamais de femmes représentées sur ses toiles (ou rarement). Pourtant, elles sont très présentes dans sa vie. Ou alors, justement, c’est parce que… !

Cette semaine, je suis passé par Trieste et Venise. L’Alliance Française et notre partenaire italien, Conad, ont joué les mécènes. Nicolas Vial a disséminé, dans le vieil arsenal (un immense entrepôt de briques et de bois), une centaine de ses œuvres. L’expo dure le temps de la biennale. Je suis content pour lui.
7 Commentaires
Un deuxième : merci.
Jean-Marie Le Ray
OUTRE-ATLANTIQUE,EN TRAVERSANT LA MANCHE
ON EN TROUVE A FOISON DECOREES DE LEURS GANSES
DES CROUTES VERNISSEES DE PEINTRES DU DIMANCHE
MAIS DE VRAIS CREATEURS VIVANT POUR LEUR ART
QUI S'EXPRIMENT LUMINEUX SANS BROSSES A RELUIRE
INTEGRES ET LOYAUX,VOILA QUI EST PLUS RARE.
NOUS DEVONS L'IMPRIMER ET MEME LE TRADUIRE.
NICKOLAS
Et que dire si ce n'est que la compassion plutôt que la véhémence, a pris le relai. Je vous plains monsieur GM, mais je ne devrais même pas relever car à vrai dire je pense que c'est exactement ce que recherche votre douleur; Etre attisée pour mordre en retour avec encore plus de violence.
Pauvre malheureux, mais je vous adresse toute ma plus sincère compassion cependant. Et d'ailleurs, plus jamais je ne relèverai l'expression de vos tourments... Dommage que vous polluez ce site cependant !
MERCI MEL de nous faire partager un talent aussi exceptionnel que celui de Nicolas Vial. Je suis un passionné d'Art Contemporain depuis longtemps, voire collectionneur quand mes moyens me le permettent.
A part Venise, où peut-on admirer ses oeuvres ? Sur Paris ?
Amitiés
Pour EricN
Règle numéro 1 :
Ne nourrissez pas le troll !
Par avance merci.
Jacques FORTIER
Roland pruvôt de Pornic (Loire-Atlantique)
Oui c'est réel, l'Art c'est pas du LARD...
J'y vois aussi un souffle à la Hopper dans certaines mises en scène...
Mais au-delà de ces "parenté" flatteuses, il y a une vraie patte personnelle. J'ai dit "patte" et non "pâte", car, tout comme Hopper, notre homme a l'air économe en matière. Et ceci n'est pas une critique péjorative. Autant j'aime les belles matières, autant j'aime les peintres capables d'un rendu allant à l'essentiel.
Voilà quelqu'un à qui on confierait volontiers la couverture d'un prochain polar...
G.L