
Parmi les livres nominés au Prix Landerneau, il y avait « Le théorème d’Almodovar » d’Antoni Casas Ros (éditions Gallimard). Ce livre a failli devenir le lauréat. Beaucoup des libraires des Espaces Culturels avaient soutenu sa sélection. Moi-même, j’ai été troublé par la profondeur de ce livre d’un auteur complètement inconnu… parce que sans visage.
Je n’ai pas à retracer ici chaque moment du débat. Mais je peux dire que débat, il y eut, notamment sur l’opportunité de maintenir le livre dans la sélection.
La plupart des membres du jury ont reçu ce livre comme un coup de poing, comme une intrusion dans l’univers trop assuré de nos certitudes.
Roman, autobiographie, un mélange des deux ? Le narrateur parle à la première personne. Mathématicien prometteur, il a été défiguré dans un accident (la rencontre de sa voiture avec un cerf sorti de la forêt !!!). Depuis, il vit sa solitude, le jour enfermé chez lui, la nuit dans les rues ou sur une terrasse au-dessus de Barcelone, de Naples ou de Gênes.
Il écrit. L’écriture est un antidote, un exutoire, une thérapie. Mais l’écriture, c’est aussi un mode opératoire : celui du fantôme de l’Opéra qui, à travers l’art et la retranscription de ce qu’il voit, veut sortir de sa condition (la laideur) et s’investir dans un projet artistique (l’écriture), producteur d’espoir.
Il s’invente alors un rôle pour Almodovar dont il serait à la fois le scénariste et l’acteur.
Antoni Casas Ros évite le mélo comme le voyeurisme. La rencontre et les échanges amoureux avec Lisa, un transsexuel avec qui il partage sa vie, sont de grands moments de pudeur, une forme de candeur même. Le livre souffre de quelques maladresses de construction, de quelques facilités. Certains développements philosophiques sont parfois un peu lourds, surajoutés, mais l’ensemble est très fort, bluffant, dérangeant.
Où est donc le problème ? Eh bien, c’est l’auteur lui-même. Donner un prix c’était, dans notre intention, promouvoir un jeune auteur, un nouveau talent. Or voilà que la personnalité de Casas Ros reste un mystère. Nouveau venu à la littérature vraiment ? Il se dit né en 1972, de père catalan espagnol et de mère italienne. Mais personne ne semble l’avoir rencontré. Il refuse de se montrer. Chez Gallimard, on confirme : même son agent littéraire prétend ne le connaître qu’à travers des échanges épistolaires ou téléphoniques.
Alors bluff à la Romain Gary ? Derrière un nouveau livre, une saga d’écrivain déjà primé ? Roman dans le roman ? Certaines voix attribuent « Le théorème d’Almodovar » à Richard Millet (directeur littéraire chez Gallimard). Pourquoi pas à Almodovar lui-même. On cite de chaque côté des Pyrénées les noms d’autres écrivains célèbres : Eduardo Mendoza, Thomas Pynchon, Enrique Vila-Matas…
Difficile de savoir la vérité. L’auteur et l’éditeur entretiennent le mystère. « Mon roman n’est pas vraiment une autofiction, c’est au contraire un espace dans lequel toutes les dynamiques romanesques se fondent pour créer un espace où le rêve, l’imaginaire et la réalité se mêlent sans cesse ». Dans une interview accordée le 24/01/08 à Hubert Artus (Rue 89), il précise encore « Cette dynamique m’a permis d’échapper au réalisme autobiographique et de transformer mon accident en une sorte de Cap Canaveral duquel je lance mes fusées ».
A la lecture des quelques verbatim que je publierai, en début de semaine prochaine, ici même, vous comprendrez le désarroi des membres de notre jury : d’un côté, un vrai talent, une littérature à la fois intimiste et puissante. De l’autre, le risque d’une manipulation, d’un de ces petits jeux qu’affectionnent certains directeurs de collections ou des auteurs en recherche de notoriété supplémentaire.
Nous avons tranché. Il était vraiment trop difficile de lancer le Prix Landerneau sans un visage, sans une personne porteur de son ouvrage.
Ce faisant, j’ai parfaitement conscience que nous sommes passés à côté de quelque chose d’important. Non pas du livre lui-même, que les libraires de nos Espaces Culturels ont largement « mis en avant ». Mais du vrai débat lancé par Casas Ros : des apparences entretenues et cultivées par l’écrivain ou de la qualité du texte, où est l’essentiel ! C’est l’écriture assurément !
Lisez « Le thérorème d’Almodovar » et parlons-en.
4 Commentaires
Moi à part le théorème de Pitre à Gore, je n'en connais pas d'autres.
Ceci dit j'utilise les plumes et les masques pour aller de l'un à l'autre.
Pour voir son visage je préconise le Chouchen je suis certain que ça marche.
Content de vous lire à nouveau.
Ravie que vous ayez choisi de parler de cette oeuvre.
Au plaisir de vous revoir.
Bien à vous.
Caphi
Journaliste Trans' MtF
Différences (mon blog consacré à la TRANSIDENTITE) > http://caphi.over-blog.fr
Chez vous vous êtes en retard le budget boissons pour le coeur(...), ira donc chez un de vos concurrent.
Bonne lecture et à+ comme il disent.
leica
Bien à vous
leica