ÉCONOMIE Enjeux de la distribution

En Alsace, rencontre avec des agriculteurs-entrepreneurs conquérants

Il y a quelques jours, j’ai été invité à échanger avec des représentants de la coopérative « Les maraîchers réunis de Sélestat ». C’est Vincent Schuwer, adhérent de la Scapalsace chargé des produits frais, qui fait le lien entre ces producteurs et notre enseigne au niveau de la centrale.

Cette coopérative a vu le jour en 1971, à l’initiative de 7 maraîchers. Aujourd’hui présidée par Denis Digel, « Les maraîchers réunis de Sélestat » regroupent 12 adhérents et proposent une large gamme de produits (70 fruits et légumes), pour un volume de 2200 tonnes. On y produit beaucoup de salades, mais aussi des concombres, des navets, des poireaux, des céleris…

Avec « Maraîchers d’Alsace », ces coopérateurs se sont donné les moyens de développer leur ambition puisque les 5 salariés de cette structure travaillent à la commercialisation des produits de la coopérative, essentiellement à destination des centrales d’achats et des grossistes.

En Alsace, l’interprofession est une réalité. Créée en 2003 et présidée par Pierre Lammert, « l’interprofession des fruits et légumes d’Alsace » (IFLA) rassemble les producteurs, les metteurs en marché et les distributeurs.

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Chacun est mû par la volonté de promouvoir la consommation des fruits et légumes locaux, et de garantir aux consommateurs un excellent niveau de qualité et de traçabilité. C’est évidemment un lieu précieux d’échanges, et c’est ce dialogue continu et respectueux qui a permis à la région d’être un peu épargnée par les tensions et dégradations de l’été.

Après une visite de l’exploitation, nous avons pu échanger assez directement les uns avec les autres. On avait convenu que les postures syndicalistes agricoles seraient laissées de côté pendant qu’avec les adhérents qui m’accompagnaient, nous nous étions engagés à être transparents sur notre fonctionnement. Et dans l’ensemble, je crois que ça a assez bien marché !

Prix d’achat, prix de vente, débouchés, puissance d’achat, normes, niveau des marges, stratégie marketing, comparateurs de prix…tout y est passé. On savait qu’on n’allait pas trouver la solution aux problèmes agricoles en deux heures d’échanges, mais on a pu discuter sérieusement.

Pour notre part, avec les adhérents nous avons pu (ré)expliquer :

1. Que le prix de vente ne faisait pas le prix d’achat : à la question « L’enseigne qui est 12% plus chère qu’E.Leclerc vous rémunère-t-elle 12% de plus qu’E.Leclerc? », la réponse fut sans surprise « non »… la guerre des prix n’est pas toujours synonyme de tarifs d’achat, avis aux bien-pensants !

2. Que fermer le comparateur Leclerc n’était pas la solution miracle : car chacun sait bien qu’entre les comparateurs indépendants (voire gouvernementaux !) sur le net ou dans la presse professionnelle, et les (nombreuses) enquêtes des associations de consommateurs, la comparaison des prix est désormais une affaire permanente. Casser le thermomètre E.Leclerc ne changera strictement plus rien à cette réalité.

3. Que la GMS fonctionne comme la coopérative de Sélestat : chacun fait ses péréquations, que la logistique des produits frais est croqueuse de marge et que le prix d’une salade peut varier d’une semaine sur l’autre, tout comme les coopérateurs de Sélestat choisissent de pousser un peu le prix du poireau quand celui de la salade est trop à la baisse.

De leur côté, les Maraîchers de Sélestat demandent d’abord à être considérés comme des entrepreneurs responsables. Denis Nass et Franck Sander, de la FDSEA, tout comme Thomas Gillig (Président des Jeunes Agriculteurs du Bas-Rhin) ont évoqué le carcan administratif, le poids des normes environnementales et sanitaires qui pèsent sur leur compétitivité.

Ils ont aussi posé un diagnostic lucide sur les défis de notre agriculture, sans chercher à se défausser et tout en ne lâchant rien dans leurs revendications exprimées à l’enseigne de distribution que je représentais.

Tous les trois ont été directs et j’ai apprécié leur franchise. Thomas Gillig m’a particulièrement impressionné. Jeune et combattif, son quotidien n’est pas des plus simples au vu des difficultés et de l’horizon embrumé qui se présente aux éleveurs laitiers. Mais il y croit et il se bat.

La coopérative ayant été reconnue Organisation de producteurs, la contractualisation est évidemment un sujet qui tient à cœur de ses adhérents. Au-delà de la revendication sur la nécessité de créer un tunnel de prix, nous avons pu approcher un peu la complexité du mécanisme et en mesurer les avantages comme les inconvénients, selon le point de vue où l’on se plaçait (agriculteur, distributeur… ou consommateur !).

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Evidemment les producteurs ont besoin d’avoir une visibilité sur les débouchés, et bien sûr les distributeurs ont besoin d’être garantis dans leurs approvisionnements. Pas simple quand viennent se mêler des aléas climatiques ou des cours de matières premières qui se fixent en Chine ou aux Etats-Unis… La distribution n’a en effet pas vocation à se substituer à un système assurantiel.

D’autres échanges se sont noués sur le lait, le prix du porc et du bœuf, mais aussi sur les défis de l’installation des jeunes. On a évoqué le steak haché alsacien et le devenir marketing des produits du Burehof, et même l’exportation de charcuteries alsaciennes jusqu’en Bretagne !

Enfin, chacun a convenu que nous avions un intérêt commun dans la promotion des fruits et légumes de la région et qu’il fallait préserver l’écrin de cette interprofession régionale.

J’ai passé une après-midi enrichissante, humainement et intellectuellement. Denis Digel le sait, j’ai apprécié nos échanges, hors des postures, avec pour seule ambition de mieux se comprendre et de trouver ensemble les solutions pour l’agriculture de demain. Merci à lui d’avoir pris cette initiative.

Le travail mené au sein de la filière par les distributeurs alsaciens, et notamment par les adhérents de la Scapalsace, me semble être un laboratoire sur lequel il faut se pencher. Car pour E.Leclerc, premier vendeur de produits du terroir français, il n’est évidemment pas question de se passer des productions françaises.

J’ai promis de poursuivre l’échange avec les membres de la Coop de Sélestat car je suis persuadé que c’est en approfondissant à un échelon local, la coopération et l’expérimentation, que nous serons en capacité de produire un scenario crédible de création de valeur (et non d’un simple partage « soviétique » de la valeur).

Evidemment, cela ne remplacera pas les réformes indispensables (et tellement urgentes) qui doivent être initiées par nos élus. Après tout, ce sont eux qui négocient et signent des traités de libre-échange sans la moindre contrepartie sociale et environnementale.

Chacun doit prendre sa responsabilité. Beaucoup d’agriculteurs et de distributeurs ne comptent pas se défiler. Les discussions qui se sont nouées à Sélestat en sont un exemple supplémentaire. Qu’en est-il de nos édiles ?

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