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Des livres pour le Mali

Vingt mille livres pour le Mali. Un programme de dotation étalé sur quatre ou cinq ans. Telle est l'initiative qui me vaut aujourd'hui d'être à Bamako, en compagnie des écrivains Laurent Gaudé (Prix Goncourt 2004), Fatou Diome, Roland Brival, ou encore l'excellent poète Yvon Le Menn. Demain, je réceptionnerai les premiers six mille livres offerts par les adhérents des centres E. Leclerc de toute la France. C'est Michel Le Bris, mon complice breton, président du Festival Etonnants Voyageurs qui a eu cette idée.
 
Le livre, au Mali, est un produit cher. Les libraires qui travaillent sous notre enseigne (les Espaces Culturels) ont d'abord proposé que l'on offre des livres à la population via l'excellent réseau des libraires maliens. Il y avait cependant le risque de casser un marché déjà trop fragile. Michel Le Bris a proposé que nous alimentions les bibliothèques scolaires et publiques d'une dizaine de grandes villes.

Nos libraires ont négocié avec les éditeurs : Gallimard, Flammarion, Actes Sud, Le Seuil, etc... Les premières palettes contiennent un fond de littérature européenne et africaine, des BD, livres pratiques, essais. Le choix a été fait par des instituteurs, des bibliothécaires, des écrivains. Xavier Darcos a mobilisé la filière du Ministère de la Coopération, et c'est par la " valise diplomatique " qu'arrivent les livres. La répartition vers Ségou, Tombouctou, Gao, etc, se fera sous le contrôle de l'AFLAM qui regroupe des amoureux de la lecture et le Ministère de la Culture malien. (A suivre)


 
Mort d'un pionnier
 
 
 
 
 
André Essel en 1983 (Sipa)



Une demi-page dans Libération et dans Les Echos, une colonne dans Le Monde. C'est peu au regard des publications autour du départ du PDG de Carrefour. C'est peu au regard de l'apport historique d'André Essel à la vie économique pendant 40 ans.
 
André Essel a achevé sa révolution. Il est décédé le 31 janvier dernier. Il a paisiblement rejoint le Bazar Céleste où il siègera à la gauche du Grand Epicier qui s'illustra, aux temps anciens, en chassant les marchands du Temple. Il inspirera désormais son héritier spirituel le plus digne d'une longue filiation chaotique : Denis Olivennes (l'actuel PDG de la FNAC, revendiquant lui aussi d'avoir fricoté avec le trotskisme).
Sa mission : redonner à cette institution, (en belle forme !) l'image d'agitateur culturel dont il avait lui-même bridé l'expression militante en l'obligeant à coucher dans le lit du capitalisme, un jour de 1970. Ce jour-là, André Essel et Max Théret introduisaient le monde de la finance dans le cœur de l'entreprise.

J'ai rencontré André Essel à de multiples reprises. Je l'ai vu débattre en privé et en public avec mon père. Ils ont beaucoup de choses en commun. Ils ne s'aimaient pas plus que cela, mais partageaient plus de valeurs qu'ils ne voulaient le reconnaître (ah ! L'ego des conquérants !).
Par ses idées, tant que par l'action, André Essel fait partie du panthéon des pionniers de la distribution française. Il en a écrit l'une des plus belles pages de la légende. Il est aussi de la race de ces entrepreneurs politiques, de ceux qui ont largement contribué à l'éveil des mentalités, à faire rentrer notre pays dans la modernité.
Comme Jacques Maillot, Gilbert Trigano, Antoine Riboud et Edouard, mon père, il n'a jamais craint d'être minoritaire. Forts en gueule, ceux-là n'ont jamais fui la polémique (décidément, la marque de fabrique des jésuites ressemble à celle des trotskistes ou des situationnistes !). Et comme eux, il fut un précurseur visionnaire, inspiré, passionné !

A son actif, il y avait évidemment la création de la FNAC. Quand il quitte le terrain du militantisme et de la propagande des idées socialistes, et qu'il crée sa première entreprise en 1954 avec Max Théret, il accepte de flirter avec les règles de la gestion, de la comptabilité, des exigences financières. C'est déjà une rupture avec son milieu idéologique. Très vite, il rejoint Edouard Leclerc dans la dénonciation des rigidités du droit français de la concurrence. Ensemble ou parallèlement, ils bataillent contre les prix imposés, le refus de vente et le protectionnisme. En 1960, alors que le mouvement consommateur est encore inexistant, il lance dans la revue "Contact" les premiers tests comparatifs et oblige les industriels à justifier des qualités supposées de leurs produits.
D'abord focalisé sur la commercialisation des premiers produits techniques (ce qui amène la FNAC à se heurter, comme Darty, aux mêmes réticences des industriels), il s'intéresse (le premier en France) à la billetterie et aux réservations de spectacles. Dès 1966, il engage la FNAC dans le champ culturel en juxtaposant aux magasins, des galeries photos ouvertes aux jeunes artistes. Tout au long des années 70, la FNAC va essaimer, faire entrer la librairie dans l'air de la modernité, démocratiser l'accès à la musique, et multiplier les lieux de rencontres (les "forums") entre les artistes, les écrivains et leur public.

Mais dans cette soif d'action et d'entreprendre, le militant avait sous-estimé les besoins financiers de cette expansion. Comme le journal Libération qui ouvre aujourd'hui son capital à Edouard de Rothschild, André Essel doit vendre, au début des années 70, 40 % des actions de la FNAC à l'UAP et à Paribas, et 4 ans plus tard, aux GMF et aux magasins Coop. Il s'ensuivra ce qu’il qualifie dans ses mémoires "les années glauques de la FNAC". Comme nous, il avait pesté contre le projet d'instaurer un prix unique du livre (loi Lang). Sous la présidence de son successeur, l'intrigant Barouin, la FNAC céda aux injonctions mitterrandiennes.
Celui qui admirait l'activiste américain Ralph Nader (il l'avait fait venir à Paris) et qui citait Herbert Marcuse plutôt que Raymond Aron, a eu beau jeu de dénoncer, par la suite, les positions conservatrices des nouveaux actionnaires. Sans doute était-ce une manière de ne pas assumer son propre reniement.

Il n'empêche, il voulait "changer le monde". Il y a sacrément réussi. Voilà pourquoi les actuels dirigeants de la FNAC ne renieront pas l'héritage de ce génial fondateur. Voilà aussi pourquoi je leur demanderai, sans droits d'auteur, la possibilité de puiser moi-même, dans son histoire, les raisons de continuer à "m'agiter".

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