SOCIÉTÉ
Actus / Débats
Le marché des services : Dumping social ?
Posée en des termes aussi lapidaires, la question est purement démagogique. Tout dépend évidemment de la législation sociale qui accompagnera son application. 1) Dans l'histoire économique de l'Europe, la libéralisation des échanges a d'abord été une affaire de volonté exprimée dans des directives de ce type. Leur adoption a été complétée par de multiples textes. Les uns dans le cadre du droit de la concurrence (texte limitant les ententes, les concentrations, les pratiques déloyales : abus de position dominante ou dumpings). D'autres contraintes ont été inscrites dans le corpus de diverses réglementations : tantôt pour ériger des normes minimales (santé, sécurité), tantôt pour accompagner les efforts de qualité (reconnaissance des labels d'environnement, de produits biologiques, indication de produits OGM, etc...). Mais : a) On n'a pas résolu tous les problèmes dans une seule directive. b) On n'a pas attendu tous ces textes complémentaires pour démarrer la libéralisation des marchés. c) Les questions d'harmonisation du droit de la concurrence, de la fiscalité ou des normes sanitaires ont ouvert des chantiers permanents, laissant une grande part à la négociation entre états membres. 2) Pour le marché des services, il est envisagé le même processus. Traite-t-on suffisamment de l'impact social de cette nouvelle concurrence ? Non. Là aussi, le chantier concernera énormément de textes qui vont devoir répondre à d'inéluctables dérapages. Alors pourquoi tant de désinformations ! Le service public serait menacé ? Non, les services publics sont exclus du dispositif. En revanche, oui, celui-ci prévoit qu'il puisse y avoir compétition entre service public et prestataires privés. Mais n'existe-elle pas déjà dans le domaine de la santé (cliniques), de l'éducation (écoles privées), du courrier (DHL) ou de l'audiovisuel ? On voit bien qu'à travers cette polémique, ce n'est pas le service public qui est en cause, mais sa gestion, son coût, son inertie, comparés aux modèles de gestion privée. La règle qui prime « le droit du pays d'origine » doit-elle être constante ? Non plus : il ne serait pas souhaitable, par ex., d'obliger un agriculteur périgourdin, lésé dans une transaction organisée par un notaire londonien, à aller plaider sa cause devant les tribunaux de la terrible Albion. Certaines situations méritent qu'on amende le principe, ou qu'en tout cas, on conteste son automaticité. 3) L'ouverture à la concurrence du marché des services va faire apparaître, dans les pratiques sociales, d'énormes écarts. Je suis de ceux qui pensent que l'on doit tirer ces pratiques vers le haut et refuser le nivellement sur le « moins-disant ». Le combat politique est donc légitime. L'opinion s'est focalisée sur les conditions de travail de sociétés baltes ou polonaises et opérant en Suède ou en France. Or, la justice a déjà tranché. Elle a clairement renvoyé plaignants et entreprises vers le droit du pays d'accueil. Tout simplement, parce qu'en matière sociale, l'Europe n'est pas complètement restée inactive. Une directive de 1996 impose le respect de la loi nationale en matière de droit du travail et de pratiques salariales, notamment pour obliger les employeurs étrangers à respecter les minima sociaux. 4) S'il y a une chose qui m'insupporte, c'est le mensonge et la manipulation. On ne peut pas à la fois dénoncer le risque de dumping social et refuser aux institutions européennes le cadre juridique qui leur permettrait de renforcer leur intervention dans ce domaine. On ne peut pas réclamer une harmonisation par le haut des conditions de travail et bouder une Constitution qui, pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, impose cet objectif.
8 Commentaires
dans le 4 ème point vous nous parlez de manipulation. Quels sont telles? J'ai lu une interview de De Villiers sur le sujet il y a 2 semaines, il semblait contre la constitution et notamment cette directive en argumentant sur l'afflu d'étranger qui allait pouvoir venir à cause de cette loi. Ces propos refletait à mon gout du racisme et sa caricature guignolesque n'en prenait que plus de réalisme. Du coup il a plutot su me convaincre de voter oui.
Personnellement j'avoue que sur le sujet de la consitution européenne, je ne me sens pas du tout informé de ce qu'elle dit. En effet, depuis plusieurs mois que l'on évoque ce thème dans les informations il s'agit d'évoquer les querelles de clocher entre les partis pour que les vainqueurs puissent prétendre être présidentiable. J'espère que d'ici le vote un journaliste aura le plaisir de me faire partager de façon claire et concise, les objectifs de la constitutions.
Erosoft : il est préférable de vous faire votre avis vous-même, plutôt que de compter sur le commentaire de tel ou tel journaliste. Pour cela, vous avez plusieurs petits guides bien faits. De plus, on peut lire les deux premières parties dans le texte sans souci.
MEL : il me semble, à vous lire, que vous êtes d'accord sur l'idée de "remettre à plat" la directive plutôt que de la supprimer. Je suis d'accord. Comment atteindre cependant une harmonisation par le haut, comme vous le souhaitez, avec l'application du principe du pays d'origine. Cela me paraît plutôt contradictoire.
J'avoue être un peu fainéant, et ne pas avoir une passion pour la lecture, c'est pour ça que je compte sur les journalistes pour m'informer c'est leurs roles après tout :) Cela me laisse plus de temps pour profiter des quelques heures de libre que j'ai pour aller à la plage avant la nouvelle marée verte de cet été.
PS : les guides où peut-on les trouver?
La concurrence est certes nécessaire, mais à armes égales. Le principe du pays d'origine va accentuer ces possibilités de dumping social et aller à l'encontre le l'objectif affiché de l'harmonisation vers le haut.
La réponse oui ou non au référendum n'y changera rien, seuls nos politiques peuvent amender cette directive pour qu'elle devienne acceptable. Le feront-ils ? Rien n'est moins sur s'ils n'y sont pas contraints. On voit bien actuellement que leur stratégie n'est pas de changer ce principe du pays d'origine, mais de laisser passer le référendum pour la refaire à l'identique.
C'est en ce sens qu'un vote non constituerait un signal fort pour qu'ils arrêtent enfin de nous prendre pour des veaux.
Il y a malheureusement un article qui manque à cette constitution, c'est l'obligation pour les pays membres d'avoir des politiques sérieux et crédibles.
Un livre vient de sortir sur les conséquences des craintes des Dirigeants sur les attentes de leurs actionnaires. http://www.ressourcesinhumaines.com/extraits.php
"Système intolérable, suicidaire. Mais pourquoi le monde du travail est-il impitoyable ? Est-ce inéluctable ? Pourquoi les ressources humaines sont-elles devenues inhumaines ?"
Les parapluies s'ouvrent et plus personne n'ose prendre de décision à long terme.
Quelle sera la valeur des Grandes Entreprises quand TOUS les salariés auront été démobilisés ?
Pourquoi certains Grands Patrons n'investissent-ils plus dans le Capital Humain de peur de se faire mal voir de leur Actionnaire ?
Bonne journée
2)Effectivement , on a pas attendu le traité, étant donné que en cas de non ratification le traité de Nice risque de s'y substituer...Et si on ne nomme pas les "services publics", il est question de service d'intérêt général /services d'intérêt général économique, soumis à l'obligation de concurrence, donc de RENTABILITé!! Merde, je suis chômeur, donc je n'y aurai pas accès, alors!
3)Il n'y a pas de référence dans tout le texte du traité à droit du travail défini, mais une seule fois dans la charte au "droit de travailler", qui n'a rien à voir avec un quelconue droit à s'employer mais à être employé - les conditions restant obscures
4) Où est-il mentionné que les conditions de travail vont être harmonisée par le haut? entre "ne biaisant pas la libre concurrence"?Quelle garantie? Une CES ou les patrons ont plus de poids que les yndicats?
Il me semble que nous sommes d’accord sur la nécessité d’harmoniser les législations sociales vers le haut. Vous, cependant, semblez croire qu’en votant « non », la France donnerait « un signal fort pour qu’ils arrêtent de nous prendre pour des veaux ». Je ne saurais affirmer péremptoirement le contraire. Il me semble pourtant que nous ne sommes pas majoritaires en Europe pour réclamer une renégociation du traité. C’est ce que je voulais dire dans ma note « Raisons de dire OUI » (5/04/05).
En revanche, nous avons tous les droits et toute latitude d’amender la directive Bolkestein. Les partisans d’une législation anti-dumping sont majoritaires au Parlement européen. Et Monsieur Junker, le Président de la Commission, en est lui-même partisan.
Si je plaide le « oui » à la Constitution, c’est évidemment en prenant pour acquis le fait qu’il faille modifier cette directive, et lutter contre les dumpings sociaux. Voter « non » n’apportera rien à la négociation Bolkestein. Mais ce « non » privera l’Europe d’une référence à des objectifs sociaux. Qu’est-ce que les salariés auront à y gagner ?
Je ne connais pas ce livre, mais vos remarques confortent le décalage entre les stratégies financières à court terme et les actions entrepreneuriales qui s’inscrivent dans la durée. De ce point de vue, notre pays cumule aujourd’hui deux handicaps :
- du fait de l’internationalisation des actionnaires de nos entreprises du CAC 40, les stratèges d’entreprises prennent leurs ordres dans des sièges sociaux très éloignés des lieux de travail de leurs salariés. Difficile dans ces conditions d’entretenir « une culture d’entreprise » : les rapports sociaux sont vécus en mode mineur et préventivement conflictuels.
- d’autre part, le poids des charges financées par les seules entreprises créatrices d’emplois finit par « dévaloriser » (sic) l’apport des « ressources humaines ».
Comme le dit l’économiste Jean-Paul Fitoussi, il devient moins coûteux d’employer du capital (les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas) plutôt que d’embaucher. C’est dramatique pour l’emploi, la cohésion sociale, et peut-être l’avenir de nos démocraties.