SOCIÉTÉ Actus / Débats

Sécurité et liberté : jusqu’où…la transmission des données ?

Emoi au pays de Jean-Jacques Rousseau et de Voltaire ! Depuis le mois dernier, tous les chefs d’entreprises suisses avec lesquels je discute (nous avons un bureau à Zurich chargé de comparer les prix des grandes marques en Europe), ne parlent que de cela. Le gouvernement fédéral a cédé aux exigences des autorités douanières américaines. Le numéro de carte de crédit des voyageurs suisses leur sera systématiquement transmis à première demande. La mesure perturbe évidemment tous ces esprits habitués au confort feutré du secret bancaire. Elle jette le trouble dans les associations préoccupées de la défense des droits des citoyens. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’administration US multiplie les mesures sécuritaires (rétablissement des visas, prélèvement d’empreinte des deux index, et depuis septembre, photo de l’iris oculaire au moyen d’un nouvel appareillage électronique). Voilà déjà de quoi stresser nos amis de la Confédération. Les demandes d'informations sur les voyageurs ont aussi été revues à la hausse. La plupart restent usuelles (nom, adresse, numéro de téléphone, date du voyage). D’autres sont légitimes du point de vue de la sécurité (siège occupé dans l’avion). D’autres encore sont plus contestables (communication de l’adresse électronique et surtout du numéro de la carte de crédit). Initialement, les USA exigeaient d’avoir un accès direct et automatique au fichier clients des compagnies aériennes. Comme leurs homologues européens, les transporteurs suisses ont eu le bon goût de refuser, mais ont accepté le principe de transmission de ces données dès la demande des services américains. Tout le monde peut comprendre que la lutte antiterroriste exige que soient revus à la hausse les dispositifs de sécurité. Mais jusqu’où faut-il mettre en carte nos concitoyens ? Sans être obsédé par l’idée de manipulation, jusqu’où peut-on faire confiance aux institutions qui revendiquent cette immixtion constante dans la vie privée. On connaît la faculté qu’ont les pirates de l’informatique de pénétrer toutes sortes de banques de données parmi les plus protégées. Qu’est-ce qui nous garantit que l’on ne passera pas de la caution terroriste à la gestion d’une opposition politique par une administration d’Etat ou peut-être même par des groupes d’individus mal intentionnés. Les droits les plus élémentaires ne sont-ils pas encore bafoués dans nos démocraties (écoutes téléphoniques, détentions arbitraires, etc…) ? Bref, qui va garantir « la bonne fin de ces contrôles » ? La question des procédures mérite d’être d’autant posée que les autorités américaines, depuis quelques semaines, viennent à considérer désormais comme suspect tout paiement en liquide d’un billet de transport. (Peut-on être un « délinquant » par avance ?) P.S. : Signalons cette contribution intéressante au débat sur le référendum constitutionnel : si le gouvernement suisse, qui ne fait pas partie de l’U.E., a pu limiter les dégâts et obtenir des concessions, c’est parce que la Commission Européenne s’est opposée aux prélèvements automatiques d’informations, et qu’ainsi nos voisins transalpins ont pu bénéficier de cette négociation. Comme quoi la Commission fait aussi du bon boulot !

8 Commentaires

Sur ce sujet, j'aime assez l'analyse de Todorov dans son livre "Le nouveau désordre mondial" qui refuse l'idée que le "plus" de démocratie en Irak puisse se traduire par "moins" de démocratie aux Etats-Unis.
Le "moins" de démocratie, c'est en particulier l'absence de débat public sur les questions de sécurité. Il n'y a pas vraiment de clivage politique sur ce dossier. Le Patriot Act a d'ailleurs été voté à la quasi-unanimité.
Le risque, selon moi, ne réside pas véritablement dans l'application de ces nouveaux textes. Il demeure en effet des contre-pouvoirs et, même s'ils sont sévères, ces textes ne paraissent pas liberticides. Le risque repose davantage, je crois, dans le message que de tels dispositifs peuvent faire passer à la population.
Faire de la sécurité la priorité numéro un risque de légitimer des comportements plus qu'excessifs. Les bavures seront plus facilement excusées. Le zèle est en quelque sorte encouragé.
Ainsi, peut se construire progressivement une société caractérisée par une suspicion généralisée, ce qui n'est pas vraiment la meilleure manière de construire un "vivre ensemble" harmonieux.
Aussi, les autorités américaines devraient prendre soin dans leurs discours de rappeler que la suspicion doit être l'exception dans les relations humaines et que vivre dans une sécurité renforcée n'est en rien contraire aux règles de l'hospitalité.
Certes, certes, nous sommes toujours plus contrôlés, sondés, espionnés, etc. La démocratie est en péril, les forces occultes aux aguets, etc. Tout cela est vrai et parfaitement critiquable. Mais je me demande ce qu'un patron de groupe de distribution pense de :
- l'utilisation exponentielle des moyens informatiques aux fins d'analyse des modes de comportements des acheteurs;
- la multiplication des cartes de fidélisation en supermarchés, poussant l'acheteur à y retourner;
- l'optimisation des rayons en fonction de la rotativité des produits et de leurs gammes de prix;
- l'organisation générale des supermarchés, évaluant la circulation "dépensière" optimale du client;
- le matraquage marketing et promotionnel incessant diffusé par publicités;
- etc, etc
En matière de "liberté" du citoyen, tout blabla marketing mis à part, je ne crois vraiment pas que les super et hypermarchés soient des modèles de vertu...
Sécurité et liberté.. – Réponse à Sébastien (08/04/2005)
Dès lors qu’un pays est en guerre (la légitimité de son action est une autre question !), ou dès lors qu’il est menacé par le terrorisme, la transparence politique peut être une forme de naïveté qui se retourne contre la démocratie.
Aussi, la question pour moi est plutôt celle du respect des procédures. Je conçois par exemple qu’en matière de lutte antiterroriste ou même contre d’autres fléaux (drogue, proxénétisme, pédophilie, etc…), il puisse y avoir immixtion dans des fichiers informatiques privés, mises sur écoute, accès à des comptes bancaires, etc… La « raison d’Etat » ou tout simplement le respect de la loi peuvent le justifier. Mais qu’est-ce qui empêche l’autorité policière de saisir le juge pour justifier de l’urgence ou de la dérogation au principe général de liberté et de protection de la vie privée. C’est surtout ça qui est choquant dans la demande des autorités américaines. Si l’exécutif se dote de tous les pouvoirs sans avoir à se justifier devant un tiers garant des droits fondamentaux, où va-t-on. Et vu les moyens techniques dont dispose l’exécutif (systèmes d’écoute Echelon, repérages par GPS des émissions télécom, remontée des sources bancaires…), alors il n’y a plus d’obstacle à Big Brother.
Sécurité et liberté.. – Réponse à Peter (08/04/2005)
Ok, Peter, on va mettre un peu de chaleur dans tout ça. L’important était d’avoir la bonne matrice. Pour les photos, je suis d’accord aussi. Mais vu mes positions, je dois faire attention à ne pas « pirater » moi-même les photos des autres. Il faut que je puisse me constituer une petite photothèque, facilement mobilisable et pas trop chère (discount oblige !) pour agrémenter ces notes quotidiennes.
Ah monsieur MEL !
L’estocade de Laurent Dupin devrait vous chatouiller les flancs.
Néanmoins les choses ne sont peut-être pas du même niveau.
Consommateur, même subissant le lavage de cerveau du distributeur (pub, vrai-faux avantages de cartes etc…) je reste libre d’adhérer, de jouer le jeu.
Je reste libre d’avoir un comportement moutonnier ou anar.
Il s’agit là de liberté individuelle.
Ce n’est pas la même chose qu’une autorité politique, administrative ou militaire qui sans contrôle et à mon insu se saisit d’informations qui m’appartiennent et qui peut, peut-être, demain s’en servir pour limiter ma liberté de penser d’agir ou de circuler.
Il s’agit là de liberté publique.
C’est toujours la même chose
Une mesure bonne ou justifiée dans le principe (lutte contre le terrorisme) peut avoir des effets pervers : son utilisation à d’autres fins.
En effet cela pose la question du contrôle (a priori, a posteriori), qui contrôle, l’indépendance du contrôleur et les possibilités de recours.
Dans un pays démocratique pas trop de problème les contre-pouvoirs sont là.
Quand la demande devient « supranationale », comme en l’espèce, qui contrôle ?
Et pour blaguer (quoique…) que dirait-on si demain l’Arabie Saoudite, la Corée du nord, l’Iran avaient des exigences similaires ? Au nom de quoi leur refuser ce qu’on accepte pour les US. Au nom du deux poids deux mesures ?
Réponse à Laurent Dupin (09/04/2005)
Désolé, je réponds bien tard. Non pas que je fuyais votre question. Vous l’aurez bien compris, je marche un peu à 400 à l’heure en ce moment.
Evidemment, vos remarques ne sont pas du même ordre que la critique légitime d’une investigation policière sans fondement. Mais je suis d’accord avec vous. Il y a dans l’énoncé des pratiques contenues dans votre commentaire beaucoup de sources potentielles de dysfonctionnements. Vous exagérez le machiavélisme supposé des supermarchés (organisation de la circulation des clients pour une dépense optimale, positionnement des produits, etc…). D’abord parce que les consommateurs ne sont pas dupes. Ensuite, parce que les pratiques sont très hétérogènes et rarement efficaces quand elles prétendent à l’exhaustivité.
En revanche, il faut s’interroger sur l’utilisation potentielle des données informatiques récoltées aux fins d’analyses par les sociétés qui exploitent les informations sur les cartes de fidélité.
Vos réflexions méritent qu’on y réponde plus au fond. Je me propose d’écrire une note dans les prochains jours sur ce sujet, si vous voulez bien m’accorder quelque délai.
Réponse à Babylone (15/04/2005)
Même réponse qu’à Laurent Dupin. Il nous faut revenir sur ce sujet en profondeur. Car, comme vous le dites, même si les intentions et les systèmes de collecte d’informations ne sont pas comparables, il peut y avoir des effets pervers. Et même dans une société démocratique, je ne suis pas sûr qu’il puisse exister des contre-pouvoirs dans tous les cas de figure.
Et puis, votre remarque finale est fondée. Communiquerions-nous les numéros de comptes bancaires et de cartes de crédit aux autorités nord-coréennes, iraniennes ou libyennes? Evidemment, non ! Sur quoi fonder la discrimination ? Là est la question.
Bonjour cher Monsieur,
Je sais bien que vous faites ce que vous pouvez. Mais pourquoi ne réajustez-vous pas les salaires à la région ??? Comment peuvent vivre vos employés qui travaillent dans l'AIN à proximité de la frontière Suisse ???
Quand à moi j'essaie de vous contacter pour un problème d'accident sur un de vos parking. En effet, le manque de signalisation et de visibilité sont et auraient été la cause d'accidents. j'en ai moi-meme été victime. Quelle est votre position et surtout votre réponse à ces problèmes ?
J'admire votre "politique" de gestion depuis longtemps.Je reste persuadée qu'il faudrait plus de Patron comme vous. Malheureusement, vous ne pouvez etre partout, ni informé de tout. Amitiés. YR.

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