Audition E.Leclerc Assemblée Nationale
ÉCONOMIE Enjeux de la distribution

Les députés et le commerce: une histoire trouble

Les députés et le commerce ! C’est une vieille histoire, très révélatrice des mentalités de nos élites françaises.

La fonction commerciale, aux yeux de nombreux représentants de la nation, n’est que parasitaire, et ne participe pas du processus de création de valeur. Les esprits restent agrariens et industrialistes, et c’est un paradoxe absolu, puisque dans la foulée des Etats Généraux de l’Alimentation, c’est cyniquement que les pouvoirs publics passent par les distributeurs pour faire avaler aux consommateurs des hausses de prix alimentaires dont les agriculteurs n’ont pu tirer profit.

J'ai été auditionné hier à l'Assemblée Nationale par la "Commission d'enquête sur les pratiques de la grande distribution et ses relations avec les fournisseurs". Pendant près de 3 heures, dans la chaleur étouffante d'une petite pièce bondée de participants (la clim était en panne !), j'ai répondu aux députés.

J'avais au préalable suivi nombre de ces auditions, dont celles de mes concurrents. J'avais été très surpris par le ton des interpellations, les postures anti-marché, les préjugés, les références idéologiques qu’on croyait dépassées... Et, pour tout dire, une forme de mépris à l’égard de nos métiers ! C'est pour cette raison qu'au début de mon intervention, j'ai tenu à dire que je trouvais les travaux de la Commission particulièrement à charge.

Je relève d'ailleurs que l'enseigne E.Leclerc aura été l'enseigne la plus auscultée par les parlementaires. En effet, pas moins de 13 représentants de l'enseigne (adhérents ou salariés) ont été soumis à leurs questions pendant une quinzaine d'heures, visite du Rapporteur dans un centre E.Leclerc compris !

Quant à moi, on me dit que j'ai été mentionné une vingtaine de fois durant les débats précédents, et qu'on m'a prêté des fonctions, des déclarations, des responsabilités personnelles… Bref, une obsession qui pourrait en flatter plus d’un, mais qui cachait un processus de matraquage dont je devais être le premier destinataire! Aussi j’ai, je le confesse, savouré la perplexité de mes interlocuteurs découvrant que E.Leclerc était une vraie coopérative, et dirigée par ses adhérents !

C’est d’autant plus étonnant de la part d’une commission d’enquête qu’aucun autre secteur de l'économie n'est autant ausculté par l’Etat que la distribution. Pour info, l'an dernier, Bercy y a réalisé 15.500 contrôles, presque 50 par jour !

Alors, c’est quand même fort de café que de faire passer les industriels multinationaux pour les mécènes de nos petits producteurs et fustiger les commerçants, sans d’ailleurs leur donner une chance de rédemption (tous, ils sont mauvais ! Il n’y a même pas de bon élève ? ?). A ce jeu-là, j’ai trouvé équitable de rappeler la liste des industriels condamnés pour entente ces dernières années (cartel du jambon, cartel du yaourt, cartel de la volaille, cartel des lessives, cartel de l'hygiène, cartel du porc…) et de citer quelques unes de leur turpitudes : pratique des prix de transfert, demande d’inflation systématique avant chaque négo, regroupement aux achats agricoles, politiques tarifaire segmentées à l’heure du marché unique…

Pourtant, ce genre d'exercice est, je l’avoue, futile et contre-productif. On peut se tacler mutuellement le temps d'une audition, mais au final il faudra bien que tout ce petit monde (industriels, distributeurs, paysans) se retrouve dès le lendemain pour collaborer. C’est d’ailleurs sur ce point que le gouvernement a tout faux. Comment remettre les acteurs autour de la table après que les uns aient craché sur les autres (à moins que ce ne soit de l’intox). Pour moi, chacun doit prendre ses responsabilités.

1/ La loi fait que les entreprises sont concurrentes entre elles. E.Leclerc revendique donc le droit de vendre moins cher. Nous ne céderons pas ! Le prix de vente aux consommateurs ne représente pas le prix d'achat aux agriculteurs, juste une marge moindre que Monoprix ! Comme l’a rappelé Philippe Chalmin, brillant économiste, "le prix d'une tranche de jambon en rayon ne fait pas le prix d'achat du cochon" ! L’ont-ils admis?

2/ E.Leclerc sera un bon élève des Etats Généraux de l’Alimentation et montera sur le podium des enseignes les mieux disantes en matière de RSE et développement durable ! E.Leclerc est légaliste, respect de la loi EGALIM (encadrement des promotions, intégration des filières, hausses de tarifs accordées sur les matières agricoles…), mais revendique son droit de s’allier avec ses partenaires européens ! L’Europe, c’est fait pour que les consommateurs puissent bénéficier des meilleurs produits de toute l’Europe au meilleur prix ! C’est quand même incroyable que les pouvoirs publics incitent aux regroupements et aux alliances européennes dans le spatial, l’aéronautique, la téléphonie, etc, mais s’y oppose pour notre secteur... Ils pensent peut-être qu’Amazon ou Alibaba seront plus pro-producteurs français que E.Leclerc ou Intermarché ?

3/ J'ai redit notre disponibilité pour travailler avec les pouvoirs publics sur des solutions pour améliorer le niveau du revenu agricole. Par des contrats, des engagements de filière, des prix minimums, des fonds de développement. Mais que le politique arrête de se planquer : la distribution n'a pas la main pour remettre en cause des accords et traités internationaux exposant les agriculteurs français à une concurrence féroce où leurs coûts de production ne peuvent pas rivaliser. Pas plus qu'elle n'a la main pour refondre les aides de la PAC.

4/ Et oui, je sais, on en veut à E.Leclerc d’avoir révélé et cassé le deal entre FNSEA, ANIA et FCD : le relèvement du seuil de revente à perte, c’était bien destiné aux actionnaires de groupes cotés en difficulté ! Les industriels, les distributeurs, syndicalistes agricoles… et politiques qui ont fait croire aux paysans français qu'en montant le prix du Ricard, du Nescafé ou du Coca-Cola, l'argent ruissellerait dans les fermes ont menti ! Nous étions (avec UFC-Que Choisir) seuls à le dénoncer. Aujourd’hui, les faits plaident pour nous, ces enfumeurs rasent les murs et nous désignent à la vindicte paysanne. N'empêche, quelle connerie c’était que de faire valser les étiquettes de prix à la hausse, au moment où les Gilets Jaunes se regroupaient sur les ronds-points pour dénoncer le coût de la vie !

Cette commission aura eu l'avantage de faire tomber les masques puisque certains représentants des industriels ont reconnu publiquement que le relèvement des prix avec le seuil de revente à perte était "destiné à redonner de l'oxygène aux distributeurs" (sic) ! Ah les tartuffes ! 

* * * *

Certains commentateurs attendaient du spectacle. Ils sont restés sur leur faim. Il convenait de rétablir que si la déflation est une plaie pour les producteurs, elle sévit partout en Europe, et pas à cause de la distribution française dont on voit bien que les enseignes elles-mêmes sont atteintes. Il faut cependant sortir de ce conflit « par le haut ».

Je retiens que les échanges avec les nombreux parlementaires présents ont été fermes mais courtois, que le Président Benoît a su cadrer les débats, qu'il m'a laissé le temps nécessaire pour défendre l'enseigne E.Leclerc, expliquer nos positions, et faire valoir nos arguments.

Reste à savoir si passé le temps des règlements de comptes (j’ai gardé les écrits ?), le politique saura nous re-fédérer ! Nomination d’un(e) ministre de la Consommation pour mieux arbitrer les demandes corporatistes? Réponse dans quelques mois avec la publication du rapport.

6 Commentaires

Salut MEL,
Je vais régulièrement aux rencontres parlementaires et l'obsession des députés c'est le business dans leur circonscription. Il n'y a que ça qui compte. La rivalité est telle en France que les régions se rendent plus attractives les unes que les autres à coup de millions de subventions accordées par telle ou telle préfecture. L'entreprise est la vache à lait de la France. Vous semez la panique en réussissant en dehors des clous.. Vous n'êtes pas en bourse, vous avez un réseau d'associations, votre groupe est constitué d'indépendants fédérer autour de vous... et vous damez le pion. Vous représentez un contre pouvoir dangereux qui va il me semble à l'encontre du mouvement américanisé actuel.
Salut MEL,
Si j'ai bien compris, ça a été un peu l'essoreuse...mais mais n'est pas ressorti rincé celui qui devait l'être!
Vous avez raison de ne pas vous laisser faire, totalement raison.
Vous être souriant en plus, ça va les agacer...
Continuez.
Bonjour Michel-Edouard Leclerc,
Vous devez bien leur casser les pieds aux politicards tout de même!
Si les prix baissent, c'est moins de recettes fiscales pour l'état et des plans sociaux chez vos concurrents qui ne peuvent pas vous suivre. Si les prix montent, c'est plus de recettes fiscales pour l'Etat (industriels ET distributeurs), et quand même des plans sociaux pour vos concurrents qui ont besoin de montrer cela pour faire monter leur cours de bourse.
Alors de vous à moi, le revenu de agriculteurs là dedans, pour les politicards...
Vous devez quand même bien les faire suer ces politicards (et je suis poli).
Bravo et bonne journée.
oui Mr Leclerc les pratiques de la grande distribution sont à revoir!!!
Pas forcément les votres bien sur M.E.L dont la parole semble toujours être celle de l'enseigne qui porte votre nom
Mais INTRA MUROS DANS TROP DE MAGASINS j'ai rencontré Trop de ces directeurs et chefs de rayon imposer des négociations incroyables aux fournisseurs .Cela a marqué les esprits .Trop c'est trop .pourquoi ne serait il pas normal que les représentants de l'état s’intéressent à ces pratiques .Les français de tout bord dont vous même , s'intéressent bien aux leurs....
En attendant, seul votre enseigne propose du carburant a prix coûtant au niveau national.

Bravo !! Merci à vous
MEL



Le relèvement de 10% du seuil de revente à perte, n’est-ce pas une façon pour l’état d’augmenter la TVA sans mot dire aux consommateurs/contribuables? Pour un article vendu 1€, taxer 20% c’était 20 centimes pour l'état. Aujourd’hui ce même article est à 1,10€ et donc 22 centimes pour l'état. Je n’imagime pas Bercy rendre c’est 2 centimes de trop perçu au ministère de l’agriculture pour qu’il les fasse ruisseler à son tour vers ceux dont il a la charge. ?

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