ÉCONOMIE
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Commerce éthique : La distribution s’engage sur «Initiative Clause Sociale»
Durant la Quinzaine du Commerce Equitable, sur ce blog comme dans le chat que j’avais organisé le 11 mai, une question revient souvent : si le CE doit être principalement réservé aux producteurs les plus démunis, confortant ainsi malgré tout une certaine marginalisation de ce concept, qu’en est-il des comportements commerciaux en général. Et notamment, à l’égard de la majorité des producteurs d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique Latine, dont les salariés sont l’objet d’exploitation, sont souvent payés au lance-pierre, vivent dans des conditions sanitaires et d’hygiène inacceptables.
A l’initiative et sous la pression des ONG, industriels et distributeurs se sont d’abord engagés dans des démarches individuelles. L’affaire Nike et les menaces de boycott ont servi d’outils pédagogiques. Les entreprises françaises ne sont pas en reste, au premier rang desquelles les distributeurs très actifs pour avoir élaboré des codes de déontologie désormais affichés à l’entrée de nombreuses usines de Chine, du Bangladesh, de l’Inde, du Vietnam, etc… Elles ont largement été pionniers dans le lancement d’audits sociaux, d’ailleurs de mieux en mieux acceptés par les industriels locaux.
La Commission Sociale de la Fédération du Commerce et de la Distribution a cherché à élaborer une grille d’analyse, utilisable comme référentiel commun par les enseignes, pour améliorer les audits sociaux, les rendre complémentaires plutôt que redondants et diminuer ainsi le coût de chaque contrôle. Rendre disponibles tous ceux qui ont déjà été effectués par d’autres enseignes permettra de constituer une banque d’informations commune.
Ce jeudi, j’engagerai mon groupe pour signer une charte commune. Y souscriront aussi Auchan, Camif, Casino, Carrefour, Cora, Galeries Lafayette, Monoprix, Okaïdi, groupe PPR (Redcats, Fnac, Printemps, Conforama, La Redoute), Système U. Chaque enseigne a établi un code de conduite qui lui est propre (selon son marché, son organisation, la place conférée aux importations ou aux fabrications à l’étranger, etc…). Mais ces pratiques respecteront les clauses d’un code commun « Initiative Clause Sociale » basé sur les principales conventions et recommandations de l’OIT, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les réglementations sociales de chaque pays quand elles existent.
- Pays concernés : Bangladesh, Chine, Maroc, Pakistan, Inde, Thaïlande, Vietnam.
- Secteurs audités : textile, jouet, bazar, bagage, meuble, alimentaire.
Chaque entreprise devra s’engager sur un nombre effectif d’audits, communiquer les résultats aux autres sociétés adhérentes à l’Initiative, et enrichir continuellement les bases de données pour que soit multiplié le nombre de sites de production audités et référencés dans la base commune.
Les audits porteront sur :
1) Travail des enfants : âge minimum de travail fixé à 15 ans. Les jeunes adultes de moins de 18 ans ne doivent pas accomplir un travail de nuit ou un travail pouvant compromettre leur santé et leur sécurité.
2) Travail forcé interdit. Et toutes les contraintes souvent observées dans ce cas (obligation du paiement d’un dépôt de garantie à l’embauche !).
3) Prohibition des pratiques discriminatoires pour des motifs de race, sexe, couleur de peau, religion, convictions politiques, rang social, orientation sexuelle, etc…
4) Eradication des pratiques disciplinaires, harcèlement ou mauvais traitement physique ou psychologique.
5) Liberté d’association et de représentation. La plupart du temps, la législation existe mais n’est ni appliquée, ni contrôlée.
6) Durée du travail : elle doit être conforme aux réglementations locales en vigueur. Les heures supplémentaires ne doivent pas excéder les limites légales et doivent être rémunérées selon les barèmes légaux. Respect du jour de repos obligatoire.
7) Salaire et avantages : les employés doivent être déclarés, recevoir des fiches de paie et avoir souscrit un contrat. Perception au moins du salaire minimum légal dans leur pays.
8) Santé, sécurité : validation de l’existence de règles de sécurité, d’informations concernant les risques sur les sites, outils de protection personnelle, etc…
Vues de l’extérieur, ces chartes peuvent ressembler à des vœux pieux, des promesses non engageantes. En fait, elles servent surtout de canevas à l’élaboration de grilles plus précises et de critères de sélection objectifs élaborés par des sociétés spécialisées (Veritas, SGS) qui effectuent sur le terrain les audits sociaux.
La signature de cette clause par un nombre aussi important d’enseignes de grande distribution va donner beaucoup plus de légitimité aux sociétés auditrices et crédibiliser la pression que mettent les ONG sur les sites de production en confirmant le caractère apolitique de ces exigences et en les érigeant comme critères professionnels.

9 Commentaires
Alors, je ne peux m'empêcher de lire et de faire des remarques...
Voilà, il me semble que ce type de charte existe déjà !
De plus, nombreuses entreprises (dont j'espère déjà le groupe Leclerc) la signe régulièrement depuis longtemps... Sans vouloir vous vexer, vous n'inventer rien de neuf !
C'est la réalité et aucun distributeur ou industriel n'y échappe.
Ce qui ne veut pas dire que les efforts fait ou a faire ne doivent pas être continués. Mais malheuresement à ce jour aucun distributeur ne peut donner de garanties formelles sur ses sous-traitants, qu'ils soient indiens, chinois ...
Les plus avancés ne peuvent que dire :"je fais des controls"
Concernant la clause 3) Prohibition des pratiques discriminatoires.
Comment allez vous faire en Inde ou le système de caste est enraciné dans la culture?
Fédina( une des plus belle assos indienne) parle d'apartheid.
Je reviendrai, Erosoft, dans une prochaine note, sur l’intérêt et les limites des contrôles effectués à ce jour. J’organise, dans une quinzaine de jours, une réunion avec tous les responsables des achats de l’enseigne et je ne manquerai pas de vous communiquer un état de tous ces problèmes.
Salut, Marie… C’est vrai que ces chartes sont déjà appliquées individuellement par les enseignes. En termes de contenu, l’Initiative Clause Sociale n’innove pas. Mais ce qui est important, c’est l’action collective de toute la distribution. Comme je le dis dans ma note, elle renforce le caractère incontournable des exigences que nous formulons ensemble. Elle les installe, non plus dans la pratique de chaque entreprise, mais les établit dans la demande générale émanant des entreprises françaises. Enfin et surtout, elle permet de créer une véritable banque de données sur les fournisseurs. Je vous rappelle (et ce n’est pas le moindre des problèmes) qu’aucune institution, aucune ONG, aucun état ne veulent nous communiquer leur liste noire de fournisseurs à prohiber, ni un système d’agrément pour que nous puissions choisir « les mieux-disants » en matière sociale.
Oui, la question des castes pose problème. Elle n’est pas toujours vécue, en Inde, de manière antagonique. Je m’en rends compte en regardant vivre mes collaborateurs d’origine indienne dans leur propre pays. Il n’empêche, c’est une forme d’apartheid. Et quand ce critère social et racial est mis en avant pour justifier une discrimination, il faut essayer de s’y opposer. Il y a du boulot !
Je dois écrire un dossier pour mon université sur les failles du commerce équitable. Je trouve très très peu d'informations à ce sujet et n'arrive pas à écrire le dossier. Pourriez-vous me dire quelles sont les failles du système, les arnaques, les éventuels problèmes du mouvement???
Merci de me répondre car j'ai grand besoin d'aide!!!
Il y a toute une littérature critique sur le commerce équitable. Je pense que vous la trouverez aisément sur Google. Les reproches ne remettent pas systématiquement en cause le bien-fondé de la démarche. Ils insistent :
- Sur le caractère marginal du commerce équitable et, de ce fait, créent des doutes quant à sa capacité à impulser vraiment un alter commerce mondial.
- Il y a aussi ceux qui se focalisent sur le faible impact local de ces opérations, et qui doutent de la capacité d’enrichissement à long terme des petits producteurs.
- Il y a ceux, enfin, qui, du fait de la marginalité de cette forme de commerce, n’y voient qu’un supplément d’âme chez les uns, un habile marketing chez les autres…
Au choix, les détracteurs savent utiliser toute une palette de critiques. Mais rien qui ne puisse remettre en cause la sincérité de la démarche.