Entretien avec Yannick Le Bourdonnec
Michel-Edouard Leclerc, vous avez soutenu, pendant longtemps, l’action de Yehudi Menuhin pour promouvoir les « jeunes talents » à travers sa fondation. Vous avez, récemment, aidé la deuxième édition du festival « Printemps Musical à Paris ».
Yehudi Menuhin a été l’un des plus grands violonistes du XXème siècle. Je l’ai rencontré au début des années 80. Il venait de créer une fondation destinée à aider les jeunes interprètes. Au début de notre relation, il m’a simplement demandé d’organiser quelques partenariats, de rechercher des opportunités de concert, jusque dans des lieux inhabituels, des écoles, des prisons, des hôpitaux, un magasin ! Il m’a honoré de son amitié et de sa confiance. Lors de ses passages à Paris, je le retrouvais à son hôtel, pour un dîner, ou tout simplement pour parler. Quelquefois, Jimmy Goldschmitt, le célèbre financier, venait, en propriétaire des lieux, nous saluer et boire un café. Il prenait un plaisir malicieux, en roulant un énorme cigare, à provoquer dans le regard du maestro, les signes d’irritation de ceux qui ne savent pas dire, par élégance, leur allergie à la fumée.
Menuhin voulait que je lui parle des banlieues, de la détresse des zones rurales, des ventes de disques et de la politique française. Lui me parlait de ses parents, russes émigrés aux Etats-Unis, de sa rencontre avec Nheru en Inde, des juifs d’Israël ou de François Mitterrand. Avec lui, j’avais l’impression de lire un livre d’histoire. Mais surtout, il y avait sa passion pour la musique : il n’avait pas de mots plus chaleureux pour parler de Ravi Shankar, de Stéphane Grapelli, de Bruno Walter, ou de David Oistrakh. Et bien sûr de ses « petits prodiges », Jérémy et Gérard, ses enfants. C’est pour les jeunes qu’il voulait agir, pour les jeunes musiciens ou la jeunesse du monde. Je crois qu’il voulait, par la musique, instaurer véritablement un dialogue des cultures. Grâce à sa fondation, et en partenariat avec notre groupement, des dizaines de jeunes ont pu s’exprimer sur des grandes scènes nationales. C’est le cas du violoncelliste Henri Demarquette, qui a pu ainsi jouer au théâtre des Champs-Elysées pour la première fois.
Yehudi Menuhin hier, le pianiste argentin Miguel Angel Estrella aujourd’hui utilisent leur métier pour défendre des idées de paix et de solidarité. Vous côtoyez là des hommes hors du commun.
Oui, leur action nous interpelle. Parce que justement malgré leur histoire et leur stature, ils oeuvrent encore pour la démocratie culturelle. Ils sont à mille lieues de tout élitisme.Plus prosaïquement, leur succès témoigne aussi de ce qu’il n’y a pas de fatalité de régression pour un genre musical.J’admire aussi René Martin, le dynamique créateur des Folles Journées de Nantes. Pour sa dernière édition, le festival a rassemblé plus de quatre-vingt-dix mille mélomanes. Les concerts, deux cents en une semaine, sont très accessibles.
Ce complice de Richter, de Youri Bashmet, de Christian Zimmerman ou de Martha Argerich, a une obsession : faire partager sa propre émotion a un public qui n’ose pas toujours fréquenter les salles traditionnelles. Alors, les concerts sont courts, de très grande qualité, et les grands musiciens invités ne dédaignent pas poursuivre la rencontre nantaise dans l’une des petites villes des Pays de Loire associées à cette démarche. Une formidable réussite.On n’hésite pas à affirmer que la musique classique suscite moins d’engouement. Les études de marché font doucement rigoler René Martin. Il refuse tout malthusianisme, ne croit pas à la cannibalisation des titres existants par de trop grandes nouveautés. En quatre jours, notre espace culturel, installé au cœur du festival, a vendu vingt-quatre mille disques.A Bilbao où il a lancé une manifestation identique, nous avons connu le même succès. A chaque fois que l’on offre à la culture une surface d’exposition supplémentaire, la demande trouve à s’exprimer.