
© Jean Bibard
Il y a de cela quelques mois, Milo Manara s’était énervé. Un journaliste de la revue Bodoï l’interviewait par téléphone. Toute la fourberie, il la sentait venir. A 61 ans, on n’a plus envie de se laisser enfermer dans les stéréotypes, dans la banalisation d’un regard prétendument critique et sans reconnaissance. Ce pouvait n’être qu’un jeu. Pas pour Milo. Pas question de laisser le gamin parisien réduire tant d’années de dessins, de peinture, des dizaines d’albums et de livres…à un condensé libertin et sulfureux de littérature érotique. Pas question de réduire à l’anecdote son travail avec Hugo Pratt, Fellini ou Almodovar…
Peine perdue, l’autre avait pour lui le pouvoir du journaliste. Et la distance des traîtres. Milo raccrocha le combiné, furax.

1) Les traits d’Eros
A première lecture, et même si le journaliste était trop potache pour être honnête, il était tout de même sacrément culotté notre Maurilio (c’est son vrai prénom). Dans presque tous ses albums, Eros allume les passions.
On se rappelle « Le Déclic », adapté au cinéma par Bob Rafelson et Jean-Louis Richard. C’est dans le magazine italien « Playmen » et dans « l’Echo des savanes » qu’il en publia les premières planches (1983). Puis il y eut
« Le parfum de l’invisible » (1986),
« Candide caméra » (1988), trois autres livraisons du
« Déclic »,
« Le piège » et
« Journal intime ».
On ne dira pas non plus que le
« Kamasutra » et
« L’art de la fessée » sont des traités d’économie, pas plus qu’il nous convaincra que ses illustrations de Pierre Louÿs dans
« Aphrodite » ne traitent de l’art floral.

Oui, Milo aime « ça ». Dans toutes ses bandes dessinées, et dans la multitude de ses dessins et croquis, l’érotisme est présent. Mais plus encore que chez Wolinski ou Serpieri, le sexe est l’instrument (sic) et non l’aboutissement d’une libération des corps et des femmes.
C’est un érotisme choisi, revendiqué. Et quand le sexe est intrusif (re-sic), violent, violé, jamais les hommes, les mâles, ceux qui en abusent et dominent, ne sortent vainqueurs au final. D’une manière ou d’une autre (re-re-sic), la femme finit par maîtriser le rapport de force. Et Milo ne donne pas cher de la peau des phallocrates.
Alors que dire de tout cela ?
Milo excelle dans le genre érotique. Mais personne n’osera dire de Picasso, de Cocteau, ni même de Fellini ou de Pasolini que leur œuvre se limite au cul ! Un genre ne fait pas le moine, fût-il lubrique. Et s’il faut trancher, Milo rappelle à qui veut l’entendre qu’avant tout, l’érotisme, chez lui, n’est qu’un prétexte…l’occasion de réaliser un dessin qui sublime les femmes, et pas simplement leur corps. Oui, Milo aime la Femme.

2) Les Vénus de Milo
Ses premiers modèles avaient pour nom
« Barbarella », créature rêvée par Jean-Claude Forest, avant que d’être celle de Roger Vadim, avec Jane Fonda dans le célèbre rôle. Ce fut aussi
« Jodelle », du pop artiste français Guy Peellaert, qui stylisa superbement Sylvie Vartan et Françoise Hardy (cette dernière dans
« Pravda »).
Sa première femme à lui avait pour nom
« Jolanda », une femme pirate et espiègle (1973). Et par la suite, elles furent légion, de
« Guilliveriana » à
« Lucrèce Borgia ».
Ses détracteurs (si, si, il y en a) prétendent que Manara dessine toujours la même femme : un patron unique, stylisé, maintes fois remasterisé, sans cesse réadapté.
Ah les tartuffes !
A l’automne dernier, Città di Castello (Italie) consacrait une belle exposition au maestro. Dans une vitrine, une centaine de publications disposées en un habile patchwork, donnait à voir d’un seul regard, les héroïnes dont il fit son Panthéon.
Oui, on peut parler d’une déclinaison, ou plutôt d’une « varia ». Car étonnante est l’évolution graphique et la progression quasi scénaristique de la représentation des corps dont aucune position, aucune expression n’échappe à la maîtrise du dessinateur. La belle
« Molly Malone », la pétulante
« Aureliana » sont pour moi des aboutissements graphiques inégalés
(« El Gaucho »).

« Toute ma vie, j’ai travaillé avec et pour les femmes, et je ne suis jamais parvenu à les connaître ». La phrase a été écrite par Almodovar. Il l’a mise dans la bouche de « Ming », un Chinois dont il a confié à Manara le dessin. La suite pourrait être de Milo : « J’ai découvert une seule chose : blonde, brune, rousse, petite ou grande, toutes les mêmes. Des garces ». Ne vous y trompez pas. C’est une déclaration d’amour.
3) Ecce homo
J’ai eu l’occasion de rencontrer Milo à quatre ou cinq reprises. A Angoulême bien sûr, au FIBD. Pédagogue et généreux devant le public du forum. Grâce à Jeanine Cuckermann, son mentor français, à la fois agent et amie, j’ai pu l’interviewer à Vérone alors que j’effectuais un déplacement professionnel. Il y tenait, jusqu’à l’année dernière, un atelier, tout près du balcon de « Juliette », au premier et dernier étage d’un immeuble du XVIIIème. La fenêtre de son bureau donnait sur des magasins de fringues, en bas, dans la rue piétonne. Les vendeuses, disait-il, étaient ses modèles (fantasme ou réalité, allez savoir !). Aux murs, des affiches de films (Fellini, bien sûr), des publicités (Le chaperon rouge de Chanel n°5) et des livres. De la documentation historique !

© Jean Bibard
Ce jour-là, il dessinait à plat sur une table. Je me souviens de cette chute de reins inachevée, là devant nous. De bas en haut, on devinait le délicat sillon vertébré qu’il lui fallait prolonger vers un somptueux globe fessier que le pinceau allait rattacher à la vie.
On imaginait Raphaël plutôt que Vinci, Klimt plutôt que Schiele, Modigliani aussi, et le Cézanne du « Déjeuner sur l’herbe ». Tous, peintres à qui il ne cesse de rendre hommage dans ses propres toiles.
Les autres artistes le lui rendent bien.
Hugo Pratt, bien sûr ; des 7 ans de collaboration et d’amitié, deux albums ont marqué durablement ma génération :
« Un été indien » (1987) et
« El Gaucho » (1995). Somptueux, magistral ! Et puis, en héritage, il y eut « HP », le maître d’aventure qui guide Guiseppe Bergman dans ses voyages initiatiques, prétextes à rencontres et dépassements. Un monde fou, fantastique, étrange et beau ! Un univers graphique étourdissant, une technique encore jamais vue en bande dessinée. (Hélas pour nous, souvent réalisé au feutre, avec une encre qui s’estompe à la lumière ; les noirs deviennent très vite violacés).

Et il y eut Fellini. Une collaboration artistique qui fut probablement plus délicate.
« De Milo, j’avais lu
« Le Singe » et puis naturellement j’aimais ses nymphettes, sa vision joyeuse du sexe, la classe de son dessin ». Sur une proposition du Corriere della Sera, Fellini proposa à Manara d’illustrer, puis de reprendre en BD le scénario abandonné d’un film
« Voyage à Tulum ». Une collaboration réitérée pour
« Le voyage de G. Mastorna ». Dit par Milo, son apport fut décisif : « Fellini a dû se contenter de ma représentation. Tout comme au cinéma…il est obligé de tenir compte de la personnalité des auteurs, des décorateurs… Mastorna ne peut pas être celui qu’il avait pensé, imaginé, rêvé ».
Il s’établit entre les deux artistes un superbe dialogue sur les mérites comparés du cinéma et de la bande dessinée. Un dialogue qui continue d’obséder les Bilal, Moebius, Loisel, attirés par le 7ème Art. « Un film t’inspire, t’empêche de penser. Une BD, c’est un arrêt dans le temps, avec le côté spectral d’une séance de spiritisme… » (Fellini).
A ce stade, on conviendra qu’on est loin des polémiques sur le caractère exclusivement érotique de l’œuvre de Milo.
A la fin d’un dîner, cet automne, il est sorti sur la place du village pour fumer une cigarette. Les habitants y fêtaient la Saint Michel au rythme d’un orchestre rock. Avec ses cheveux blancs, sa veste de cuir noir, cheap et molle, il passait pratiquement inaperçu. L’esprit ailleurs, mais, heureux, souriant, contemplatif ! Son ami, Liberatore, dessinateur de génie lui aussi, me prit par l’épaule. Et d’un coup d’œil fraternel vers Milo, me glissa : « Tu vois, il a l’air d’un ange, mais en ce moment même, il nous a oubliés, nous et les habitants. Il est en train de dessiner mentalement une « Lucrèce Borgia », faisant périr un de ses amants. Ou « Savonarole » procédant à l’empalement d’une donzelle trop belle pour n’être pas sorcière… ».
Oui, décidément, Milo trompe son monde !
17 Commentaires
la contagion constituent les grands
facteurs de la persuasion, mais leurs
effets dépendent de celui qui les
emploie.
gens de goût!
L'ouvrage est peu de chose et le
seul nom fait tout.
on ne va tt de mm pas engraisser un candidat qui est sur de perdre !
Nous disposons depuis peu d'une salle de specftcles de 450 places en Bretagne, avis favorable de la commission de sécurité et sommes à la recherche d'un mécènne qui pourrais nous aider à acquérir le matériel technique nécéssaire à l'exploitation de cette salle. Jé suis programmateur de spectacles vivants depuis 11 ans et très souvent mis ma billetterie sur ticketnet de votre réseau pour des artistes comme : miossec, pauline croze, thierry robin, rodolphe burger. J'ai sollicité les élèves de Master 2 pros paris pour m'accompagner dans l'évènement, c'est un oui de joie, normal.
Cordialement,
andré lucali requestmuzik@gmail.com
L'entreprise Leclerc en faveur de la culture pourra t-elle nous accompagner dans ce projet?
http://www.youtube.com/watch?v=GspZhXUo2ic
Ciao Mel
Je partage votre interet pour le travail de Milo Manara, d'autant que pour sa part, je pense qu'il ne resterait pas de marbre devant certaines de mes sculptures.
Je bookmark votre blog.
Au plaisir.
Le granfred
Cordialement,
Jérôme
Connais le magasin LECLERC mais je ne connais pas la philosophie de LECLERC.
C'est facile de parler des auteurs ou dessinateurs connus c'est moins facile de parler des inconnus encore faut-il pouvoir regarder les personnes qui tendent la main dans la rue.. je pense que ceux qui ont réussi n'ont pas besoin de publicité de mr LECLERC!!!
par contre il serait plus utile à mon sens d'aider des artistes qui sont dans l'ombre et qui ont autant de talent que manara ou autres et qui sont aujourd'hui au RMI. je pense au fils de mon mari. Site Aïnobox = julien Mariolle qui se démène pour pouvoir un jour vivre de son art et sincèrement il a une belle âme celle de croire que l'on peut vivre de son art. mais il n'a pas comme d'autre personne l'heureuse joie d'être le fils DE......
Bref je pense que l'argent va à l'argent...
C'est tout simplement le cri du coeur d'une belle maman qui s'est occupé du fils de son mari.
une belle maman qui est cadre de santé dans un service de médecine
et qui pense que la misère existe
et que personne ne souhaite la voir telle qu'elle est
Mr leclerc est loin d'immaginer ce que vit l'êre humain, un stage à l'hosto lui permettrait de se rendre compte aussi du travail qui reste à faire en terme d'humanité tant auprès des enfants que des personnes âgées.
Salutations.
Enfin, un chef d'entreprise qui s'implique et qui s'implique dans la vie sociale.
Je souihaiterais, pour ma part, ne pas confondre les patrons ou gestionnaires de siupermarchés, et autres entreprises, avec des tiroirs caisse. Malheureusement, votre exemple est presque unique.
Merci de continuer à nous faire rêver.
Bien Sincèrement.
Jean-Louis Clermond
PS: A titre d'exemple, et sans connaitre les relations entre la municipalité et le centre Leclerc de Bollène, je trouve regrettable que votre concept ne soit pas repris dans cette commune.
Qu'est-ce que ca couterait à ce centre de faire la promotion des expositions de la ville.
Ce n'est pas fait et les gens ne font que passer à Bollène. Ils ne s'y arrêtent pas.
Ah! le jour où je comprendrais pourquoi?