
J’aimais bien Jean-Edern. Notre « clown céleste », de retour dans sa Bretagne natale, adorait venir à Concarneau, pour narguer quelques écrivains parisiens invités du Festival Livre & Mer. Il arrivait à l’heure du repas, s’asseyait près de mon père ou moi, et d’un air entendu, poussant le regard au-dessus des lunettes, interrogeait, jaugeant le public : « Qui sont tous ces cons qui ne mangent pas leurs pattes de crabe ? ».
Les cons ? Jean-Edern cherchait leur contact. C’était sa manière irritante et puérile, d’aborder les éditeurs, les libraires, ou les écrivains, avec cette morgue qui lui valut son isolement.
Dommage pour lui. Jean-Edern était un merveilleux écrivain. Qui ne se souvient de « La cause des peuples » (1972), de « Chagrin d’amour » (1974), ou « L’évangile du fou » (1988).
Jean-Edern s’était fourvoyé en Mitteranderie. Se croyant interdit d’édition, mais effectivement surveillé par le pouvoir (les grandes oreilles), il nous avait sollicités mon père et moi pour publier ce qui devait être sa grande charge hugolienne à l’encontre du marcheur de Solutré. (Ce qui nous valut évidemment aussi d’être « écoutés »). Mais c’était nul, vraiment nul, et dans les quatre épreuves (du synopsis au livre complet) qu’il nous soumit, il n’y eut que bassesse, médiocrité, et bave de cabot.
Pauvre Jean-Edern, éternel enfant gâté, qui gâcha son intelligence et sa vie à trop fréquenter les gens de pouvoir, puis à les fustiger.
Hier, dans la bibliothèque de mes parents, j’ai retrouvé son « Journal d’outre-tombe » (édition Michalon 1998). Tout entier dévoué à l’éloge de sa personne, et parcourant les frontières de son nombril, le journal de Jean-Edern est insignifiant. Mais j’y ai trouvé quelques clefs de lecture pour comprendre ces auteurs qui essaient désespérément de transformer le brouillon de leur vie en suaire d’écrivain :
« Quand c’était une blonde que j’avais dans mon lit, je lui demandais de me lire du Pouchkine, et une brune du Hemingway. Et comme elles lisaient toutes très mal, je finissais par les baiser pour les faire taire. Et hop une deuxième vodka !
Je trouvais quand même le moyen de travailler trois heures, et pendant trois autres heures je me donnais l’illusion vodkaisée que je travaillais. Disons les choses comme elles sont : C’était un superbe travail de démolition. Commentaires : Ne pas s’apitoyer, ne pas répandre de la vilaine sentimentalité. Ne pas plaire aux bourgeois qui guettent le moment où ils pourront enfin admirer votre viande froide. La maîtrise, c’est de donner à la souffrance tout son ressentiment comique. »
« Moi je ne vois pas en quoi l’homme frivole que je suis a manqué un seul instant, dans sa vie au sérieux véritable des choses… J’imagine que les mêmes réactions durent avoir lieu avec Voltaire ou Cocteau. Pour la plupart, le sérieux, c’est l’air sérieux ».
« Au fond, qu’a-t-il, mon personnage ? Son crime est-il d’être populaire auprès de simples gens, et d’être haï par la camarilla toute puissante des imposteurs au pouvoir ? Je n’aurais donc jamais de repos… A part le repos éternel, bien sûr ! »
Ainsi a péri, à petits feux, un représentant honorable et sympathique de la gauche caviar, qui n’avait de cesse de dénoncer la « droite poilane ». Une triste entreprise de démolition. Il lui aura manqué d’écrire le chef d’œuvre qui aurait fait de lui le dernier poète maudit du XXème siècle.
4 Commentaires
Je pense qu'il souffrait d'un manque de reconnaissance, du moins, c'est comme ça que je le voyais derrière l'écran de ma TV. Pourtant, il n'avait pas à rougir.
Tchao M.E.L.
Il y en a très peu chaque siècle.
Jean-Edern faisait partie de cette race d’hommes d’exception.
Et ce n’est pas le fait de scribouiller sur un blog fourre tout qui autorise un épicier en mal de reconnaissance à cracher ainsi sur la tombe d’un authentique écrivain.
Qu’avez vous écrit, que laisserez vous derrière vous Monsieur Leclerc pour vous croire autorisé un tel discours d’enfant gâté frustré de n’avoir jamais été rien d’autre que le fils de ?
Avant Thé ou Café, il y avait... Sucré...Salé. J'y travaillais avec Catherine et avais eu le plaisir de vous interviewer pour préparer l'émission.
A la supression de l'émission, j'ai changé (encore une fois) de chemin et me voici chef d'un établissement à Angoulême : maternelle et primaire... 300 chérubins à encadrer et à faire grandir.
Cette année, notre thème éducatif et pastoral est "grandir avec la planète". La première action de toute l'école est de s'associer à votre mouvement fin septembre. Et me donne l'occasion de reprendre contact avec vous.
Les observations concernant l'école sont légions mais si vous souhaitez les miennes.. Je serai ravie de contribuer à votre réflexion.
Pardon de ce long envoi !
Bien à vous.
Marie Christine Ceccaldi
Ecole de l'Enfant Jésus
19 rue de Bézines
16000 ANGOULEME
Je n'ai pas trouvé votre email, aussi je dépose mon message ici.
Comme je sais que tout ce qui touche à l'art et aux livres vous interesse, je voudrais vous présenter mon site sur lequel j'ai mis quelques uns de mes poemes, notament "La Glace" traduit en plus de 140 langues dont hieroglyphes et maya par des chercheurs.
http://pouemes.free.fr/poesie/poemes-traductions.htm
bien amicalement
RB