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Culture et identité : Alain Mabanckou dans les pas de Frantz Fanon et de James Baldwin

img_blog_130907_mabanckou C’était il y a quelques mois, à Los Angeles, dans le quartier de Santa Monica. Alain Mabanckou enseignait à l’UCLA la littérature de langue française. Il travaillait à l’écriture d’un livre sur James Baldwin. Au milieu des bouquins et penché sur son écran d’ordinateur, il jubilait, il se délectait ! « Ecoutez, mais écoutez ça… ». Et alors, il lisait : « Je me tiens debout à la fenêtre de cette grande maison, dans le sud de la France, tandis que tombe la nuit, la nuit qui mène à l’aube la plus terrible de ma vie… Mes ancêtres ont conquis un continent, ils ont traversé des plaines jonchées de morts jusqu’à un océan qui, tournant le dos à l’Europe, faisait face à un plus sombre passé. Je serai peut-être ivre d’ici l’aube mais cela ne me sera d’aucun secours. » « Vous connaissez ? C’est la première phrase de La chambre de Giovanni. C’est beau, vous ne trouvez pas ? » Et sans attendre de réponse, il reprenait la phrase, la scandant, cherchant le rythme. Alain Mabanckou était tombé littéralement amoureux du style, de la poésie et des audaces de l’auteur de La conversion (Rivages, 1997), de Jimmy’s Blues (Actes Sud, 1985), Chronique d’un pays natal (Gallimard, 1973), et surtout du sulfureux La prochaine fois, le feu (Gallimard, 1963). De cette émotion, toute de découverte et de complicité fraternelle, il ne reste plus grand-chose dans le livre qu’Alain Mabanckou publie aujourd’hui (Lettre à Jimmy, Fayard). C’est un choix délibéré. Oh, bien sûr, on le sent toujours admiratif, en phase, en résonance. Mais la ferveur poétique a laissé place à une interpellation plus politique. Ce n’est plus sur le terrain de la passion, ni celui des sentiments, ni des joutes littéraires que le Renaudot 2006 nous entraîne. Mais plutôt dans le décryptage d’une biographie qui le conduit à raisonner sur le statut de l’écrivain, du Noir, de l’homosexuel, de l’immigré, de la cohabitation des cultures, de leurs rivalités, comme, par exemple, celle qui eut pour effet d’exacerber l’antisémitisme des Noirs américains dans les années 50 et 60. Il nous faudra revenir sur ce livre, tant il aborde avec conviction et simplicité toutes ces questions qui ne cessent de faire débat encore aujourd’hui. Mais alors que se cristallisent dans la communauté africaine francophone des sentiments contradictoires à l’égard de la politique française sur le continent noir, j’ai relevé à la fin du livre quelques phrases fort pertinentes sur le devenir des sociétés post-coloniales. Le propos d’AM concerne précisément les Noirs immigrés en Amérique ou en Europe. Mais tout immigré peut s’y reconnaître. « Le refuge dans la sous-culture est ainsi un réflexe pour tout groupe se considérant comme victime de la marginalisation. Il se crée alors un réflexe grégaire, une volonté collective de rejet de la vision majoritaire du monde. Tout personnage qui se lève contre l’Occident devient le héros de ces minorités… » « …en inventant leur propre langage et un code vestimentaire dérivé de ceux des Afro-américains, les jeunes immigrés affichent de cette façon leur révolte, défient les forces de l’ordre qui, dans leur esprit, les regardent comme de perpétuels « indigènes de la République »… » Et comme en résonance avec les critiques adressées à Nicolas Sarkozy, après le discours qu’il a tenu à Dakar, Alain Mabanckou, probablement sans s’en rendre compte, apporte de l’eau au moulin du locataire de l’Elysée. Dit-il vraiment autre chose que notre Président quand il écrit (mais il est vrai, ce n’est plus un Blanc mais un Noir qui parle aux Noirs !) : « …l’attitude de l’éternelle victime ne pourra plus longtemps les absoudre de leur mollesse, leurs tergiversations… ». « …leur condition actuelle découle de près ou de loin de leurs propres chimères, de leurs propres égarements et de leur lecture unilatérale de l’histoire… Il ne suffit plus…que je me dise originaire du Sud pour exiger du Nord le devoir d’assistance dans son élan de tiers-mondiste, car je sais que l’assistance n’est que le prolongement subreptice de l’asservissement, et être Noir ne veut plus rien dire, à commencer par les hommes de couleur eux-mêmes. » Quoi de plus naturel alors que l’auteur de Mémoires de porc-épic et de Verre cassé cite Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs : « …ma vie ne doit pas être consacrée à faire le bilan des valeurs nègres… Je ne suis pas prisonnier de l’histoire. Je ne dois pas y chercher le sens de ma destinée… Dans le monde où je m’achemine, je me crée interminablement. » Décidément, Alain Mabanckou, chef de file des écrivains-monde de langue française, et auteur de leur manifeste (publié chez Gallimard), confirme qu’il sait faire fi des modes compassionnelles. Je trouve cette position très courageuse…

4 Commentaires

Il est ici très loin de Sarkozy et c'est absolument simpliste de réduire les critiques du discours de Dakar à la couleur de peau de son auteur.
Le problème de ce discours est d'avoir essentialisé une pseudo identité de noir. Sarkozy a expliqué aux africains ce qu'était l'homme noir: un être primitif rétif à la raison et poussé naturellement vers la superstition plutôt que vers la science. C'est cela le discours de Sarkozy (et je n'exagère en rien, si vous le désirez je peux vous faire des citations exactes).
La question de la revendication du statut de victime est tout autre. La plupart des noirs seront bien entendu d'accord avec Mabanckou. Surtout, que cette posture un piège posé à tous, dans une société ou la dignité s'acquiert souvent par l'étalage de la souffrance.
Donc, pour résumer ce trop long commentaire, S.V.P. ne mélangez pas tout, ce qui est reproché à Sarkozy est d'avoir expliqué aux noirs ce qu'était la "nature du noir" et que ces préjugés correspondaient à une veille tradition faisant du noir, plutôt qu'un être multiple et complexe, comme tous les autres, un homme dominé par des instincts primitifs.
Je ne veux je pas réagir au commentaire mais juste profiter de cet espace pour faire éclater ma colère contre les magasins Leclerc. En effet, nettoyons la nature fête ses 10 ans et nos gamins d'Entrevaux n'ont pas eu droit au gouter promis par l'enseigne pour leur contribution.
De plus, Mr Leclerc, cela fait des années que je suis cliente Carrefour, et à force de vous entendre les déblatérer et entendre vos belles paroles, je suis allée faire un tour dans l'un de vos magasins. Croyez-moi, je n'ai pas fait un quart de mes courses quand j'ai vu vos prix. Arrétez de critiquer et mettez vos belles paroles en pratique. Sur ce, je ne vous salut pas.
Michel,
J'aimerais m'entretenir avec vous, pourriez-vous me transmettre une adresse mail ?
Cordialement
Maurice
j'avais lu cet article sur le blog d'Alain et les commentaires qui suivaient comme j'ai lu depuis la "Letre à Jimmy" excellent essai sur l'identité et la place des noirs dans le monde. Depuis Alain vient de découvrir des marques de racisme en Inde et "Jeune Afrique" témoignait récemment des mêmes difficultés rencontrées par les noirs subsahariens au Maroc quoiqu'ils fussent estimés comme excellents étudiants. Ce péché originel qu'est le racisme reste bien partagé dans ce monde.
C'est une des raisons pour laquelle ont été créées les "RENCONTRES DU LIVRE VIVANT" à BRAZZA en 2006 avec précisément la présence d'Alain MABANCKOU - dans une perspective de développement durable grâce en partie à la solidarité Nord-Sud ou la complicité des peuples comme dirait Aminata TRAORE.
La 2ème édition est en préparation pour juillet 2008 mais avec si peu de moyens et tant de difficultés dans un pays si riche où il y a tant de pauvres. Et ni les lycéens, ni les étudiants, ni leurs professeurs ne peuvent s'acheter de livres et où il y a si peu de bibliothèque et pas de sous pour y aller même en bus.
D'où un appel à la solidarité qui vient d'être lancé sur le blog d'Alain (crédit a voyagé)et que nous reproduisons ici avec un appel particulier à Michel Edouard Leclerc que nous ne savons joindre autrement. Mais n'est-ce pas le bon espace de RENCONTRE POUR LE LIVRE EN AFRIQUE.
ci-dessous cet appel à toutes et tous :
AU SECOURS ! HELP ! Save Our Soul !
… les écrivains ont besoin de lecteurs et les jeunes africains ont besoin de lire et d’entendre les écrivains qui leur parlent et parlent d’eux, de leur pays, des autres pays, de leur histoire, de leur avenir.
C’était au tout début sur ce blog … naissait un mouvement de soutien pour la réouverture d’une Bibliothèque publique à Brazza alors squattée par une Eglise évangélique.
Puis la Bibliothèque de Ouenzé - après avoir ouvert des Cercles de lecture dans 3 lycées - créait les RENCONTRES DU LIVRE VIVANT de Brazza en 2006 avec Alain et Boniface Mongo Mboussa.
On y décernait le 1er Prix LIRE EN AFRIQUE décerné au « meilleur lecteur ». C’était un début…
…continuons le combat ! Aujourd’hui il y a des Cercles de lecture dans 6 lycées et d’irréductibles et utopiques organisateurs bénévoles - peu nombreux - essaient d’organiser la 2ème édition des RENCONTRES du 7 au 12 juillet prochain avec Léonora MIANO et Wilfried NSONDE.
Mais les subventions et dotations ont diminué de moitié et – le comble ! – est qu’ils ne peuvent même pas acheter de nouveaux livres pour enrichir le fonds africain ouvert aux jeunes de là-bas.
Ils ne vont pas faire la quête mais ils cherchent à nouveau du soutien pour poursuivre leur campagne « POUR LIRE EN AFRIQUE ». Par exemple, ils vont en appeler à Michel Edouard LECLERC dont on sait qu’il soutient personnellement et activement la lecture et la diffusion du livre, n’est-ce pas Alain?
Ils vont en appeler également aux écrivains qui habitent les rayonnages de leur Bibliothèque à Ouenzé.
Ils vous appellent aussi en vous demandant de vous faire connaître par le canal du webmaster de ce blog.
Il s’agit seulement - mais c’est tellement important - de créer une chaîne de solidarité POUR LIRE EN AFRIQUE.
Et que naisse au Village une case Internet des RENCONTRES DU LIVRE VIVANT de BRAZZAVILLE – RELIV2008 où on se passe des livres et d’où on passe des livres aux lycéens de Brazza ! est-ce trop demander ? merci pour eux.

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