
Il faut voir «
Parole et guérison », une pièce de Christopher Hampton, au théâtre Montparnasse. Une pièce dense, mais accessible, même pour qui ne connaît pas l’histoire de la psychanalyse.
C’est vraiment un grand moment de théâtre : une mise en scène intelligente (Didier Long), un décor ingénieux à tiroirs (Jean-Michel Adam) et des comédiens magnifiques. Avec une Barbara Schulz exceptionnelle. (Je craque !).
« La pièce est le frottement passionnant de deux grands cailloux »
(*). « Un dialogue, d’abord de connivence entre « deux esprits acérés »
(*), Freud et Jung, aux premiers temps de la psychanalyse. Une confrontation qui finira par une séparation.
Le décor pourrait être celui de la clinique Burghölzli, la clinique psychiatrique de Zurich en 1904. Jung (Carl Gustav pour les familiers) expérimente avec enthousiasme la méthode de Freud. La patiente est Sabina Spielrein (Barbara Schulz). Elle souffre d’obsessions multiples. Elle sera son cobaye, son terrain d’observation, d’expérimentation méthodologique. Le premier rapport est clinique. Il prend note et s’investit avec enthousiasme, profondeur et patience dans le dialogue avec cette femme qui se bat avec ses troubles.
Pas facile au théâtre de mimer l’hystérie ou l’épilepsie sans frôler le ridicule. Barbara Schulz « ne joue pas ». Ses mains se tordent derrière son dos, son souffle se brise, la parole reste prisonnière du thorax…Elle est si vraie…
Jung (Samuel Le Bihan) ne peut rester insensible à une patiente aussi intelligente qu’émouvante. Il se cherche. Cette tension croissante, cet amour sincère, servent de supports dramatiques à la pièce. Et dans cette cohabitation à fleur de peau, Léna Bréban joue admirablement Emma, l’épouse de Jung, blessée mais généreuse, toute en tendresse et en retenue…
Attentif, Freud (Bruno Abraham-Kremer) l’est aussi. Il devine le débat intérieur, les contradictions de son élève. Mais s’il a pour lui un regard quasi filial, le Viennois est obsédé par la transmission de son œuvre. Il voit en Jung son dauphin. Une admiration intellectuelle, mais une opportunité tactique aussi : quand l’Ecole psychanalytique suscite la critique antisémite, il espère du jeune protestant suisse un engagement total.
Le cas « Sabina Spielrein » et les rapports qu’entretiennent Jung et Freud avec elle donnent de la chair et de l’émotion à ce qui aurait pu n’être qu’un débat d’intellectuels. Peut-on vivre une relation amoureuse avec ses patients. Il y va de la crédibilité de cette nouvelle discipline.
Il suffira d’une courte scène pour exclure les positions libertaires. Analyste et lui-même patient, Otto Gross (admirable Alexandre Zambeaux) défend cette thèse en héritier de Nietzsche.
- Gross : « …Peu importe la rhétorique tant que vous ne laissez pas l’expérience vous glisser entre les doigts…L’essentiel de notre métier c’est de rendre nos patients capables de liberté…Si votre route croise une oasis, n’oubliez pas de boire. »
- Jung : « Mais ne pas se réprimer c’est faire naître des forces destructrices. »
Le médecin zurichois soutient Freud malgré ses propres manquements. Mais Gross laisse planer le doute sur la rigueur prônée par le Viennois : « …l’obsession de Freud pour le sexe vient du fait qu’il ne le pratique jamais, non ? ».
La pièce est superbement ficelée. Elle donne à connaître, à travers ces drames personnels, un moment passionnant de l’histoire de la psychanalyse, de la philosophie. Freud qui, en effet, ne laisse pas transparaître l’existence de sentiments amoureux, affirme, de son autorité, la subordination de notre inconscient à la sexualité, aux pulsions libidinales. Médecin, il veut donner à la psychanalyse un statut scientifique autant que moral.
Jung, lui, conteste que « la sexualité soit à l’origine de tout ». Il veut creuser la question des mythes fondateurs, du religieux.
Dans la vraie vie, la querelle des Ecoles psychanalytiques n’a pas fait la place qu’elle mérite à Sabina Spielrein, fondatrice de l’Ecole russe, et tragiquement assassinée par les Nazis en 1942. Amoureuse de Jung, c’est à Freud qu’elle donne raison. Et si sur l’échiquier d’Hampton, Jung et Freud sont les rois, elle est la seule reine.
(*) Interview de Bruno Abraham-Kremer dans l’excellent « Avant-scène théâtre » (1
er aout 2009)
2 Commentaires
Bravo pour cet avis (que nous partageons entièrement).
Merci pour votre engagement à défendre la culture dite "populaire" de qualité (celle pour laquelle nous nous battons depuis dix ans).
Très cordialement
Patrick Savey
Directeur
au-theatre.com
Bravo pour cet avis (que nous partageons entièrement).
Merci pour votre engagement à défendre la culture dite "populaire" de qualité (celle pour laquelle nous nous battons depuis dix ans).
Très cordialement
Patrick Savey
Directeur
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