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Cinéma allemand : Chris Kraus, un très grand chef d’orchestre

img_blog_240308_4_minutes Les « bad girls » fascinent. J’avoue « un faible » pour Anne Parillaud dans Nikita, pour Milla Jovovitch dans le Cinquième Elément. Au Top Ten des femmes qui savent faire exploser les valves de l’émotion et shaker adrénaline et testostérone, je veux nommer Hannah Herzsprung. Elle est Jenny, femme hyper violente mais pianiste ultra douée, dans le film « 4 minutes » de l’Allemand Kris Kraus. Il y aurait tellement à dire sur ce film plutôt négligé par la critique (et par les réseaux de distribution aussi puisqu’il n’est pratiquement plus possible de le regarder en salle. Reste à espérer une sortie rapide en DVD !). La photo est exceptionnelle, jamais de voyeurisme, la sensation d’enfermement est totale, mais c’est pour nous guider vers l’intimité des êtres. Quant au montage, impeccable, il assure un crescendo inoubliable. Hannah Herzsprung/Jenny est en prison, incarcérée pour meurtre. Hyper sensible, rebelle, écorchée et même suicidaire, elle est dans la mire de ses compagnes de cellule. La violence est perceptible tant elle traverse la peau, elle a meurtri sa chair. C’est la musique qui fait soupape. Pianiste surdouée, Jenny est repérée entre toutes par Traude Krüger, la professeur de piano (Monica Bleibtreu, remarquable). Autant Jenny est volcanique et brûle tout ce qu’elle touche, autant Traude est sobre. Elle a l’âge d’être la mère de Jenny. Elle porte les stigmates du passé noir de l’Allemagne. Sans être vraiment autoritaire, elle peut être cassante. Deux générations de femmes brisées (une métaphore de l’histoire allemande contemporaine ?). Tout les sépare, du moins en apparence (en fait, ce qui les rapproche, c’est ce qui les sépare). Chacune des deux femmes porte sa valise de blessures. Jenny cultive l’insolence jusqu’à masquer son talent par l’excès, la provocation. Malgré ses grosses chaussettes molles et la manière dont elle s’attife, on la devine belle tellement elle s’efforce de ne pas l’être. Dans le processus d’autodestruction, dans l’annihilation des sentiments, son refus sauvage des autres trahit la sensualité refoulée, l’amour nécrosé. La fracture plus que le dépit. Tout en Traude est raideur. Pour la même raison : un amour détruit, arraché, violemment. Elle a voulu construire un mur froid pour endiguer les souvenirs dont les images sont insoutenables. Mais Jenny ravive la mémoire et ébranle le dispositif de protection. La tendresse, le désir (maternel ? amoureux ?) refait progressivement surface. Ainsi, leurs parcours parallèles, les barrières qu’elles ont construites chacune de leur côté, ont tissé des passerelles, fussent-elles impraticables. Traude est ostensiblement raciste : « arrête de jouer de la musique de Nègre ! ». Mais Jenny l’est-elle moins dans son rejet/mépris des autres. La prison va organiser la rencontre de ces deux êtres. Portées par le rythme dramatique d’une histoire qui ne perd jamais en intensité, ces deux femmes luttent sur un ring, sans arbitre, laissées à elles-mêmes, contre elles-mêmes. La musique devient le territoire/exutoire de leur affrontement, jusqu’à provoquer une forme de libération. Une libération tout intérieure puisqu’au terme de l’acte final, la société rappelle autoritairement sa loi et oblige chacune des deux femmes à regagner son vestiaire respectif. Ah, ce final ! « 4 minutes » est un film qui conclut en apothéose. Le spectateur qui a senti tout au long du film le travail de la lame dans ses tripes, a du mal à contenir son émotion quand Jenny, dans une interprétation surprenante, éblouissante et fusionnelle, tire sa révérence (au sens propre comme au figuré). Oui, vraiment, « 4 minutes » est un film puissant, bouleversant. Et pour moi, Jenny/Hannah, c’est, pour paraphraser Julien Gracq, « une actrice à l’estomac ». Je conviens qu’il existe quelques lourdeurs. Le personnage du gardien est vraiment trop phallo. Ce n’était pas nécessaire même si l’on comprend que Kris Kraus voulait, par opposition, magnifier la personnalité des actrices. Et l’évocation des anciennes amours lesbiennes de Traude est, à mon sens, un peu trop pesante. Après tout, qu’importait cette référence mélodramatique pour expliquer l’impossibilité d’aimer. J’ai lu, après la projection, une interview de Kris Kraus. Ce n’est pas tant sur le génie ou la prouesse artistique qu’il a voulu bâtir son film, mais sur la rédemption par l’art (ici, la musique) : « J’ai l’intime conviction que l’art peut, non pas changer le monde, mais provoquer des bouleversements individuels dont l’enchaînement est…susceptible d’orienter le cours des choses d’une façon imperceptiblement différente ». L’intention rejoint, sans aucun doute, celle d’un autre réalisateur allemand, Florian Henckel Von Donnersmarck, dans un autre film remarquable : « La vie des autres ».

11 Commentaires

Bonjour M-E Leclerc
J'apprécie vos commentaires sur les films.
Ils sont souvent pertinents et témoignent d'une sensibilité que les hommes à la tête d'entreprise cherchent plutôt à dissimuler, lorsqu'ils en ont...
Je me méfie en effet des critiques de la presse (copinage, fâcherie, intérêts économiques à défendre supérieurs à ceux du film "critiqué", etc...).
C'est pour cette raison que je trouve intéressant de lire votre opinion sur votre Blog, parce qu'au fond, ici il n'y a rien de commercial.Plutôt paradoxal non?
Continuez!
Vos chroniques sont bien faites.
Moi non plus je ne lis pas la presse en général, vos interventions sur ce type de sujet sont pour moi l'oaccasion de s'informer. Sur ce film par exemple.
Je me, je vous pose néanmoins la question de savoir comment vous faites vos choix?
Avez-vous des coups de coeur?
Merci
(suite)
Oui, je suis OK avec Raymond : pourquoi ces choix de film, celui-ci et pas un autre; quel est votre parti-pris?
Bonjour à tous,
Je ne suis pas une exégete du Blog de MEL, mais je crois qu'il a déjà été répondu à certaines de ces questions.
Vous avez écrit M-E leclerc quelque chose du style " écrire, ça vous structure" je crois me souvenir.
Manifestement vous savez également restituer!
Actuellement sur les écrans on peut voir pleins de bons films. Avez vous vu "Into the wild"?
Désolé, la prochaine fois j'essayerai de tout mettre sur le même commentaire... En même temps en lisant les autres contributions, alors...
Puisque vous vous intéressez à l'engagement et à l'action, moi cela m'aurait intéressez d'avoir votre commentaire sur THAT WILL BE BLOOD, si vous l'avez vu.
Vous n'avez pas pu manquer ce film, avec votre côté un peu catho. vous avez dû vs sentir interpellé...
Bonjour aux cinéphiles en ligne,et à MEL.
En tout cas il y a un film que je ne vous recommande pas, c'est "Le nouveau protocole".
Le sujet était plutôt attirant et en plus Clovis Cornillac joue dedans...
J'ai trouvé que c'était un tissus de naïvetés!
A bientôt
Le titre du film n'est "THAT will be blood" mais "THERE will be blood", nuance....
pourquoi aucun commentaire sur la musique et le compositeur de cette musique?
c'est un très beau film grace à cette attente d'une musique nouvelle et on est pas déçu ..quoique ??
Ce film "4 minutes" de Chris Krauss est magistralement interprété par ces deux actrices allemandes.
Terrible et milieu carcéral inhumain.
On survit avec elles et leurs révoltes, leurs folies,leur génie musical et leur enfermement mental et psychologique.
La fin est surréaliste en ce sens que dans la vie et ses règlements musicaux si codés il n'est pas vraisemblable d'arriver sur une scène devant un public sans passer par toutes les exigeances si rigoureuses qu'impose ce milieu artistique de très haut niveau. Cela ne peut se faire mais du point de vue imaginatif, cette rebellion publique aboutissant à une explosion de folie pianistique plus que caractérielle!! Chris Krauss l'a voulu et il avait sûrement ses raisons.
Ce film reste cependant d'une exceptionnelle qualité ! et c'est bien ainsi...
film original qui magnifie la force de la pulsion de vie qui est en chaque être humain. D'un côté une femme dont l'amour de sa vie a été tuée en pleine jeunesse et une autre beaucoup plus jeune qui, à son tour est condamnée à l'enfermement physique et psychologique et en prise constante avec la haine . Son talent de pianiste étouffé va enin pouvoir s'exprimer, quand la première va non seulement croire en elle mais faire l'impossible pour l'aider par tous les moyens à jouer. Le final est éblouissant par la libération de l'expression du désir de vivre de l'artiste libérée par son art.
Il s'agit d'une histoire d'une rencontre de ces 2 femmes que tout semble éloigner mais qui se ressemblent dans l'intensité de leurs souffrances . Le tout est très pudique, parfois violent, tant elles se battent pour survivre. le talent du réalisateur et des actrices sublime le tout dans une espèce d'apothéose
Salut Mr Chris KRAUSS pour votre talent qui a lui aussi explosé au grand jour !
Excellent, sublime, je regrette d'avoir arrêté le piano, j'en ai eu les larmes aux yeux

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