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Dylan, Bono : de la rébellion à l’engagement

Ils ont en commun de paraître sous des pseudos. Robert Zimmerman a adopté le nom d’un grand écrivain gallois, auteur du « poète en jeune chien » : Dylan Thomas. Paul Hewson est Bono. Ils partagent un même amour de la musique. Ils sont, à trente ans d’intervalle, deux rock stars, deux icônes de la chanson, mais aussi, d’un mouvement de contestation parmi les plus influents de la planète. Tous les deux viennent de commettre un ouvrage. Dylan publie le premier volume de ses mémoires (« Chroniques », Fayard). Bono répond aux questions de Michka Assayas, (chez Grasset). J’ai feuilleté ces deux livres, cet été, avec gourmandise, et un brin de nostalgie. La lecture croisée des deux ouvrages permet de découvrir, malgré les apparences, deux sensibilités, deux caractères plutôt opposés, et de comprendre la différence de leur engagement.   Dylan, d’abord. A la lecture des critiques qui ont accompagné la sortie de ses mémoires, on est saisi par l’incompréhension, ou plus encore, la frustration, de toute une génération qui se réclame du chanteur. Comme pendant les années 65 à 75, déjà, ses fans, déçus, considéraient comme une forme de reniement (de traîtrise !) cette pudeur, qui empêchait Dylan de prendre nommément partie pour les causes qu’on lui supposait combattre. Lui, affolé par les pesanteurs du star système, a toujours fui la responsabilité induite par son statut emblématique, revendiquant, comme Alan Ginsberg ou Jack Kerouac, écrivains mythiques de la Beat Génération, le simple droit à la poésie. Dylan fut d’abord un poète, un poète rebelle. Je me souviens l’avoir écouté au hasard d’une escale à Provincetown (Connecticut), la ville des hyppies. C’était en 1968, juste avant le coup de Prague et l’immolation de Yann Palach. J’avais la chance d’être chez des amis, dans une famille de marins et de musiciens. Les fortes paroles de la contre-culture avaient à cette époque la voix de Joan Baez, de Pete Seeger, de Peter, Paul and Mary. Du folk, du rock, des provocations, des coups de colère, de la générosité… Et puis, donc, il y eu ce moment unique sur la plage. Une voix nasillarde revendiquait l’amour, le plaisir, les droits de la personne. Des campus de Harvard aux sit-in L.A. elle rythmait la contestation contre la guerre du Viet-Nam, le racisme, l’exploitation sociale… C’est la période de « Blow’in the wind », de « With God on our sides » et de « The times they are a-changin’». Mais très vite, Dylan a senti la récupération ; il a voulu se démarquer, revenir à des chansons plus intimes. On ne voulait pas voir, on ne voulait pas croire à ses explications. Lui, pourtant ne cessait de se revendiquer poète, troubadour, musicien. Son seul engagement, c’était la musique : « hors la musique, je n’ai pas de légitimité ».   Bono affirme sa filiation avec Dylan « …Mais après les années 90, j’ai cessé de jeter des pierres contre les symboles les plus évidents du pouvoir et de ses abus. J’ai commencé à jeter des pierres contre ma propre hypocrisie ». Comme Dylan, Bono revendique son statut de musicien. Comme lui, il est lucide sur l’inanité du statut de rock star. Mais il veut « sauver la planète », et il instrumentalise sa notoriété, il la plie, au service de son engagement. Non sans lucidité… « Une rock star, c’est quelqu’un qui, dans son cœur, ressent un vide presque aussi vaste que la masse de son Ego. » Voilà qui est évacué ! Entre les années 65 et la fin des années 70, Dylan s’est fourvoyé, entre cynisme, intimité, et défonce. Sa créativité, d’ailleurs, en a pris un sacré coup. Bono, lui, choisit l’introspection. Oh, rien de monastique ni d’ascétique. Mais impressionnant tout de même : « la jungle affleure sous la peau de chacun de nous… Je vois le bien chez les hommes, … je vois aussi le mal… je le vois chez moi. Ce n’est pas parce que je trouve une façon de contourner l’obscurité que je ne la vois pas… ». Alors, il se démène. Pour l’Afrique, contre le sida. Quelques réponses aux questions de Michka Assayas décapent et dérangent : « avec le sida, on assiste à la plus grande pandémie de l’histoire de la civilisation… Tous les jours 6 500 africains meurent d’une maladie qu’on peut prévenir et guérir, et l’Occident ne considère pas ça comme une priorité ! C’est l’équivalant de deux 11 septembre par jour : 18 avions grands porteurs avec des pères, des mères e des familles qui s’écrasent du ciel… Pour eux, pas de larmes, pas de lettres de condoléances, pas de salves… » Je crois que j’aimais mieux la musique de Dylan. Plus que les chansons de U2, le rock Folk de l’américain portait mes rêves, forgeait mes projets. Mais la personnalité de Bono, (le refus de la fuite, l’affirmation de ses doutes, fussent-ils colorés d’un peu de marketing) me séduit. Et rassure. Voilà qui confirme qu’il ne faut pas désespérer des plus grandes icônes du star système.

4 Commentaires

Bonjour MEL,
Je viens vous lire quasimement quotidiennement, je suis assez sidéré de votre eclectisme et de ce que vous arrivez à "caser" en terme d'activité dans des journnées de 24 H.
Chapeau et merci de continuer c'est toujours interessant.
David
Re- D LAINE (26/08/2005)
Merci pour le compliment. En fait, il ne s’agit pas vraiment d’éclectisme. Vous savez, à part les clins d’œil à la vie politique et culturelle, tous les sujets abordés ici trouvent leur source dans l’exercice quotidien de mon métier. Un hyper commercialise plusieurs dizaines de milliers de produits, depuis les denrées agricoles jusqu’aux ordinateurs. Chaque « marché » donne à connaître des interlocuteurs intéressants, des problèmes d’évolution et crée des impacts sociaux. Plutôt que de les vivre passivement, j’utilise mon métier comme un observatoire, et j’essaie de restituer toutes ces observations. Et pour moi, comme pour les internautes, j’essaie de tirer quelques principes pour l’action.
Bonjour MEL,
Je viens vous lire quasimement quotidiennement, je suis assez sidéré de votre eclectisme et de ce que vous arrivez à "caser" en terme d'activité dans des journnées de 24 H.
Chapeau et merci de continuer c'est toujours interessant.
David
Re- D LAINE (26/08/2005)
Merci pour le compliment. En fait, il ne s’agit pas vraiment d’éclectisme. Vous savez, à part les clins d’œil à la vie politique et culturelle, tous les sujets abordés ici trouvent leur source dans l’exercice quotidien de mon métier. Un hyper commercialise plusieurs dizaines de milliers de produits, depuis les denrées agricoles jusqu’aux ordinateurs. Chaque « marché » donne à connaître des interlocuteurs intéressants, des problèmes d’évolution et crée des impacts sociaux. Plutôt que de les vivre passivement, j’utilise mon métier comme un observatoire, et j’essaie de restituer toutes ces observations. Et pour moi, comme pour les internautes, j’essaie de tirer quelques principes pour l’action.

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