CULTURE
Actus - Débats
Google Print : Bibliothèque universelle ou asservissement du savoir ?
Dépassé, le projet fabuleux et quelque peu mégalomane de François Mitterrand !. Au classement du Grand Livre des Records, la dimension de notre Bibliothèque Nationale n’a plus rien de pharaonique, si ce n’est probablement celle de ses coûts d’entretien. L’initiative récente de Google risque même de reléguer Alexandre le Conquérant au rang d’un génial mécène égaré dans son siècle… Car ce dont il s’agit aujourd’hui n’est rien moins que la constitution d’une bibliothèque universelle, une tour de Babel des savoirs, des langues et des littératures.
Passionnant en lui-même, le projet Google de numérisation de milliers de livres est tout à fait emblématique des problèmes (éco, culturels, politiques) suscités par la nouvelle économie internet.
J’ai, depuis trois mois, épluché tous les articles qui décrivent ce projet. Et ce week-end, je me suis replongé dans une lecture étonnante, riche de toutes les utopies, mais parsemée de trompe-l’œil et de chausse-trappes.
Rappel : Il y a dans le monde, actuellement, des milliers de projets de numérisation (archives de musées, d’entreprises, fonds de bibliothèques, mémoires de recherches, doc administratifs, etc…). Dans le domaine culturel, deux propositions ont fait l’objet d’un débat public. La première émane de « Amazon.com ». En octobre 2003, le libraire en ligne a lancé le programme « Search inside the book ». Près de 200 éditeurs sollicités, l’ambition de rendre consultables jusqu’à 120 000 livres !
Et puis, il y a eu « Google Print ». La firme de Mountain View (Californie) a confirmé l’accord de 5 des plus grandes bibliothèques anglo-saxonnes de lui confier la numérisation de leur fond (Harvard, Stanford, bibliothèque du Michigan, New-York Public Library, Oxford). Avec un objectif encore plus incroyable : 15 millions d’ouvrages scannés, 4,5 milliards de pages, le tout disponible dans 6 ans ! ! !
Ces projets ont suscité aux USA un immense enthousiasme et, finalement, assez peu de critiques. Parmi celles-ci, listons les principales parce qu’on n’a pas fini d’en parler :
1) Problèmes techniques : manipulation des ouvrages lors des opérations de scanning.
2) Problèmes liés au financement par la publicité.
3) Problèmes des droits d’auteur et du copyright (idem que pour la musique en ligne…).
En Europe, le débat s’est focalisé autour de la réaction de Jean-Noël Jeanneney, Président de la BN. Aux propositions de Google, il a opposé des arguments supplémentaires qui dépassent largement les aspects techniques du dossier.
4) Problème de la destination des données. Pour JNJ, « accumuler, ce n’est pas organiser ». Il faut (et qui doit ?) s’occuper de la codification, des répertoires, des indexations. C’est un travail que le bibliothécaire ne peut abandonner à l’intégrateur. Même dans ce cas, il faut déterminer des standard communs à toutes les bibliothèques. Sinon, on fait un Quid ou on prend le risque de disperser les données dans les millions de pages de Google.
5) Problème de l’hégémonie de Google : Est-il raisonnable qu’à terme, l’accès aux données soit subordonné aux préoccupations financières d’une seule société privée.
6) Problème de l’hégémonie linguistique : Puisqu’il s’agit d’une multinationale, quelle place va-t-on garantir aux productions de langue française, aux autres langues que l’anglais, dans les répertoires, les classements, et la promotion.
7) L’avenir des bibliothèques : Peut-on lancer un programme de numérisation et en confier l’exploitation à une entreprise dont l’objet n’est pas lié à l’avenir physique du livre. S’agit-il, dès lors, de mettre un contenu à disposition des internautes, au détriment des bibliothèques ou, au contraire, de faire venir les lecteurs dans les bibliothèques ?
8) La question déontologique : à supposer qu’on résolve toutes les questions précédentes, jusqu’où peut-on disséquer un livre, le présenter en « page d’informations », sans respecter l’ouvrage dans sa cohérence et menacer ainsi son intégrité. « Un livre de littérature n’est pas qu’un ensemble de pages écrites ».
Sur la base de ces questions, 19 bibliothèques européennes (Allemagne, Finlande, Grèce, Espagne, Belgique et toutes celles qui sont implantées dans l’ancien bloc de l’Est) ont signé leur adhésion à un contre-projet européen. Pour le moment, au stade de l’idée, avec demande de financement auprès de l’UE…
Oui, cette affaire est passionnante parce qu’elle remet en cause l’inertie de notre secteur culturel public (l’offre de Google a réveillé nos gestionnaires publics). Elle oblige les acteurs culturels à « penser la démarche technologique » non pas simplement comme média, comme support, mais comme façonneur de contenu (30 ans après Marshall Mac Luhan, c’est pas trop tôt).
Le chantier est immense. Une chose est certaine : en focalisant le débat sur les techniques de numérisation, on se trompe. D’abord parce qu’on peut résoudre la moitié de ces problèmes en élaborant des cahiers des charges adaptés. Mais surtout, cet aspect de la question restera mineur si l’on ne traite pas de l’essentiel : l’exploitation des contenus et les critères de sélection par les moteurs de recherche.
Google n’a jamais fait mystère de ses objectifs : accroître la masse de données accessibles pour multiplier les occasions de ramasser de la publicité (je ne polémique pas, je ne fais que citer le leitmotiv d’Adam Smith, le responsable du projet). Du quantitatif donc.
Ce que réclame Jean-Noël Jeanneney, c’est du qualitatif. Nous retrouvons ici la problématique sur laquelle nous avons échangé, celle des critères de référencement et de classement des moteurs de recherche (blog du 4 mai). A suivre, donc…
6 Commentaires
De quoi parlons nous de culture, de patrimoine..?
Le fait de centraliser sur un espace virtuel 100, 1000 ou 100 000 livres ne modifiera rien.
Ils seront toujours disponibles ailleurs.
Nos enfants manipulent internet,consultent des documents pour leurs exposés(au mieux) et vont aussi à la bibliothèque.
Ce sera une banque de données parielles, une de plus!(et surement pas la plus dangereuse).
En plus, si elle est en Anglais les Français n'iront pas!! :-) Que ce soit sur écran ou sur papier ils ne comprennent pas l'Anglais.
L’intérêt d’un blog comme celui-ci, c’est d’accepter de sortir des clichés, des étiquettes, des idées toutes faites ou des slogans. Les polémiques sur les centrales d’achat font partie des poncifs. Ca fait 30 ans que j’exerce ce métier et j’ai toujours entendu ce discours, quand bien même nous n’étions encore que des nains sur le marché. Je pourrais me contenter de vous répondre que nos centrales d’achat n’achètent pas aux producteurs locaux, ce qui serait déjà une réponse pour clore toute polémique. Mais soyons fair-play et développons.
Nous travaillons avec les producteurs locaux de deux manières :
1) Dans une relation directe avec chaque magasin. C’est le chef de rayon dans l’hypermarché, ou le directeur du supermarché lui-même, qui reçoit ses fournisseurs et passe ses commandes. On est alors dans une relation de proximité dont on ne peut pas dire, même si elle est toujours plus difficile pour le producteur, qu’elle tourne à l’écrasement. Cette part des achats ne cesse d’augmenter.
2) Les producteurs locaux trouvent aussi des débouchés dans notre enseigne, en fournissant les produits à notre marque Repère, ou la gamme « Nos régions ont du talent ». Là aussi, je ne veux pas donner une vision idyllique, mais ça marche bien.
Dans ce bilan, il y a des erreurs, des comportements qu’il faut rectifier, des chocs culturels dans les méthodes de négociation, des abus, des coups de gueule, et toutes sortes de difficultés liées aux fluctuations erratiques et aléatoires du marché. Mais au final, il y a du résultat.
Du fait de leur ancrage territorial et de leur autonomie, nos acheteurs sont devenus de véritables ambassadeurs de chacune de leur région dans tout le réseau. Ce qui est déjà vrai chez Système U, dans pas mal d’Intermarché, et même à l’initiative de plusieurs directeurs de certains Auchan ou de Carrefour…est devenu chez nous une véritable politique. Résultat, nous sommes devenus aussi les premiers distributeurs de produits de terroir, d’AOC, et de labels (à peu près 20 % du marché).
Du coup, vous comprenez la logique de commercialisation des produits équitables. Elle est la continuité de cette politique qui consiste, certes, à vendre des premiers prix pour contrer le HD, mais à favoriser, dans nos linéaires, les produits à valeur ajoutée (signe de qualité, engagement bio ou agriculture raisonnée, label Max Havelaar) dont dépend largement l’accroissement du revenu des producteurs.
Voilà, à la louche, ma réponse. Vous pouvez n’y voir qu’un argument publicitaire. C’est une posture facile. Moi, j’accepte la critique, mais je m’engage, ici, sur la continuité de cet objectif.
Vous avez raison bruno. Aussi le débat n’est-il pas celui de la numérisation, ni même celui de la disponibilité. C’est celui du classement des informations, des priorités d’accès, et des critères de sélection des moteurs de recherche.
Je ne doute pas que Google puisse répondre à cette attente. La balle est dans le camp des bibliothèques publiques européennes. Quel est leur cahier des charges, quel mode de lecture voudraient-elles mettre en place ? Et puis, il y a la question des droits ! Il ne suffit pas de balayer de la main la proposition de l’Américain. Il s’agit soi-même de savoir ce que l’on veut.
La France n'est malheureusement pas democratique dans le cadre de l'acces des livres au grand public.
Ainsi Jean-Noël Jeanneney, Président de la BN, est l'un des gardiens qui empeche les Francais en general de recevoir dans leurs bibliotheques des livres qui sont juges par les gens de Jean Noel Jeanneney comme trop fragile pour voyager...
Ils n'offrent bien sur aucunes solutions.
Cela ne les empeche pas d'etre oppose un systeme qui offre une reponse au refus de communication d'ouvrages d'une bibliotheque a l'autre.
Bien sur si vous etes un "UNIVERSITAIRE", alors la pas de probleme.
Par contre si vous etes chef de rayon chez Leclerc (par exemple), essayez de demander par exemple le livre de Moreau de St Mery sur St Domingue a votre bibliotheque locale...
De mon cote de l'atlantique par l'intermediere du pret "inter-library" il m'est possible de recevoir gratuitement pour consultation chez moi pendant 2 semaines des ouvrages originaux tel que Le commerce Rochelais au 18 eme siecle par Emile Garnault. Ouvrages publies avant 1900 et dans un des 5 livres recus, il y avait meme une lettre originale d'Emile Garnault.
C'est Jean Jaures je crois qui disait que la force d'un pays etait basee sur la sante et l'education.
En France nous avons la securite sociale, aux USA nous avons l'acces direct au savoir.
Je suis etonne donc de decouvrir une telle opposition en France a l'acces democratique par la majorite aux documents et livres qui sont preserves dans les bibliotheques avec l'argent du contribuable.
Il semble bien que trop de privileges soient accordes a des gens qui ont des tetes trop remplies plutot que bien remplies.
C'est vrai meme pour les bandes dessinees...
Non Ralph, pas d’accord avec vous. Jean-Noël Jeanneney veut, au contraire, nourrir l’internet d’une information maximale et autoriser l’accès aux fonds des bibliothèques nationales. Ce qu’il remet en cause, c’est le cahier des charges des moteurs de recherche. Chercher une œuvre de Balzac et tomber en 1ère page sur une société de publicité…voilà ce qu’il voudrait éviter. De son attitude est né un dialogue plus fructueux avec Google. Il fallait passer par là. Mais l’objectif est bien celui que vous défendez au final.