
Peut-on regarder la violence sans s’y complaire ? Et quand la violence est belle, doit-on se sentir coupable d’y prendre du plaisir ?
Ouah ! Du Périgord où je légumise, me voilà pris en flagrant délire philosophique.
Je suis allé voir Sin City. C’est le pourquoi du questionnement !
Le film, annoncé comme un évident blockbuster par les officianados de Marvel Comics, ne passe déjà plus que dans les petites salles marginales. La critique fut plutôt généreuse sur la forme. Mais beaucoup, pourtant élogieux à la sortie de Kill Bill de Tarentino (qui collabore ici occasionnellement) n’y ont vu qu’un exercice stylistique : réussi pour l’adaptation fidèle de la BD, inconsistant et complaisant sur le fond (« dingo et puant » dit-on sur « resonance-online » ; « maniériste », « fasciste » a-t-on lu sur libération.fr. Injuste méprise ! C’est là, mon avis !
Je me suis replongé dans l’univers de Frank Miller, dont l’éditeur français, Rackham publie cette année un beau « collector » de dossiers tirés de Sin City (cf. visuel).
Pour Marvel Comics, (et aussi DC Comics/USA), Miller a d’abord dessiné un Batman complètement « remastérisé », à la mode psy « The Dark Knight Returns » avait déjà tous les traits de sa géniale-future-œuvre-la plus aboutie : Cynisme, humour noir, violence, expressionnisme… et cette brutalité gratuite magnifiée, qu’on retrouvera dans sa première adaptation cinématographique (un quasi-bide) : Robocop 2.
Mais Sin City est un véritable opéra de papier. Nietzsche, (et Fritz Lang) auraient salué ! Le graphisme s’éternise somptueusement sur les formes arrondies (femmes, voitures … excusez la juxtaposition !) et énerve le crayon dans le mouvement (bagarre, chutes, poursuites…).
Les gueules des héros (anti-héros) sont patibulaires à souhait. Elles sont passées sous les roues d’un semi-remorque, marquées des rainures d’un pneu, recousues main, mais d’une main qui tiendrait un scalpel !!!
Les femmes, victimes malmenées ou putes (mais jamais soumises) restent éclatantes, souvent vengeresses, toujours victorieuses.
C’est cet univers que revisite le film de R.Rodriguez, avec l’élégance du vice, la précision du bistouri, une qualité d’image à la Beineix (« La lune dans le caniveau »), sauf que la pellicule est en noir et blanc, rehaussée d’aquarelle aux couleurs chaudes, fluo (jaune, orange, rouge).
Esthétisant, le film est superbe, baigné d’une atmosphère polarde des années 30, visuellement parfait, jusqu’au moindre cadrage comme sur du papier glacé. Quelques longueurs dans ces trois histoires de détectives au grand cœur, délabrés mais tenaces ! On se laisse prendre par la magie. Moi j’ai franchement aimé.
C’est ici qu’est le tour de force, le génie de F. Miller.
Je peux comprendre que pour certains spectateurs, le sujet rebute. Moi-même, je n’ai jamais été client (encore moins friand) des films d’horreur : les massacres à la tronçonneuse, les moignons offerts à la gourmandise de molosses agressifs, les éviscérations… et toute la quincaillerie des films gores me font plutôt gerber.
Mais Miller pastiche. Il filme des stéréotypes. L’esthétisme crée la distanciation. L’invraisemblance, l’outrance des scènes les plus glauques n’enlèvent rien au sadisme ambiant, mais objective suffisamment le délire pour qu’on ne suffoque pas.
Cette brutalité sublimée (qui frôle toutefois le grotesque mais sans jamais y succomber) laisse sa place au spleen, à la solitude, et finalement, à la tendresse des personnages.
Oh, certes, ils ne sont pas d’une épaisseur psychologique ahurissante. Mais dans leurs rôles, Bruce Willis, et surtout Mickey Rourke, complètement déjantés, sont fantastiques. Et Jessica Alba est la plus émouvante des femmes fatales. On tuerait pour elle !
Ah, qu’elle est fascinante, la ville du péché. Tarentino jouait du sabre à outrance et son humour épongeait l’hémoglobine (« Kill Bill »). Miller va beaucoup plus loin. Il ne parle ni de morale, ni de justice. Les êtres se battent pour leur survie dans ce Gotham qui ressemble fort à la ville corrompue où sévit le vieux Batman. Même la police a des airs de Rapetout. L’humanité est réduite à son bestiaire de spéculateurs, de sénateurs corrompus, de curés vicieux, de violeurs, de tueurs, de cannibales…
Au milieu d’eux, la pureté se cherche une raison d’être.
La tâche est quasi impossible. Voilà pourquoi les héros sont forcément des paumés. Il faut ne plus y croire et n’avoir plus envie de vivre pour défendre l’Amour…
« Sin City est un film noir qui parle de ce qui est sombre, et il ne s’agit pas que de l’histoire, mais de ce que les personnages ont de sombre en eux-mêmes » dit Robert Rodriguez. Frank Miller rappelle aussi que dans toute dramaturgie (chez les auteurs grecs comme dans le théâtre shakespearien), la violence est extrême. Elle produit la tension nécessaire à l’expression des caractères, et des fantasmes, qui en sont les exutoires.
Loin de sacraliser la violence, Sin City, qui en est repu, est un film qui dérange… parce que cette fascination pour « La beauté du diable » est l’aveu de notre propre culpabilité.
4 Commentaires
A découvrir en VF dans les 3 tomes Intégrale Daredevil publiés par Marvel Panini France
Les visages simples et doux.
De part ce graphisme j'ai le sentiment, que bien que le dessin perd en richesse, il gagne en finesse.
Cordialement