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Portraits, rencontres - Fatou Diome

 Il y a deux personnages : d'abord, une petite fille qui refuse de grandir, avec ses nattes et sa tchatche. Car elle tchatche, Fatou, intarissable, du moment qu'il est plus de 11 heures du matin, heure de sa mise sur orbite. Il fallait la voir dans l'avion pour Bamako. La cabine était éteinte. On ne voyait que la ligne gourmande de ses dents blanches. Elle gloussait, riait, revivait en live "le Gang des Requins" sur l'écran vidéo. C'est Fatou la joyeuse, Fatou la copine. Mais, pour elle, être écrivain, "c'est aussi se mettre à la place de quelqu'un d'autre qui souffre ou qui n'ose pas parler". Elle s'engage, désigne des cibles. Les féministes, d'abord, "qui préfèrent manier la balle de base-ball contre leurs mecs". Pas de quartier. Il faut voir aussi comment elle parle aux petites écolières de Ségou : "Aimez vos mères, mais ne soyez pas comme elles !". Pourquoi en veut-elle à ces institutions familiales et tribales qui font le charme des livres de voyages ? Parce qu'elle a mal pour "ses soeurs". Dans un troquet de Bamako, elle parle avec gravité de cette culpabilité que porte toute femme noire, cette petite voix qui voudrait la rappeler à l'ordre à chaque fois qu'elle fume une cigarette ou trempe les lèvres dans un apéritif. Elle sait remettre en place les puritains. A celui qui osait lui rappeler l'obligation de décence, lors d'un colloque qui devait l'honorer, elle n'eut d'autre réplique que mini-jupe et talons aiguille. Elle renvoie méchamment dans ses cordes le goujat qui, publiquement, osait douter de sa féminité parce qu'elle n'avait ni mari, ni enfant. Une posture ? Pas du tout. Elle a ramé : "J'étais femme de ménage à Strasbourg, on ne fréquente pas le monde des éditeurs dans cette situation-là". Les soirs, c'est avec l'ordinateur qu'elle les passe. Elle a ses moments de blues : "Je discute avec mes hormones". L'écriture est un exutoire : "Quand on écrit sur soi, c'est qu'on a pris de la distance et qu'on s'en est sorti". Donc, elle fait feu : sur les racistes ("normal, vu la mélanine que je me traîne"), sur l'oppression tribale (elle fait vivre au moins 20 personnes dans son île du Sénégal). Rassurez-vous, cette jeune femme, nourrie des versets du Coran sait jouer de son charme et vous balancer un "Doux Jésus !" quand elle sent qu'elle va déraper. Epatante !

2 Commentaires

Portraits ! ?
Je trouve ces petits portraits quotidiens géniaux. Dommage qu'il n'y ait pas en plus une photo...
Portraits - Re : Nathal (16/02/05)

J'étudie la question. Je suis d'accord. Surtout que souvent, lors de ces rencontres, j'ai moi-même l'occasion de capturer l'image de quelques-uns de ces hommes ou femmes remarquables qu'il m'est donné l'occasion de fréquenter...

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