ÉCONOMIE
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Importation textile chinois : le rôle des hypers
A en croire les dernières statistiques douanières citées par les professionnels, l’augmentation des importations chinoises de certains vêtements dépassent 300 à 400% pour les seuls premiers mois de l’année. C’est l’occasion pour certains acteurs de la filière, mais aussi pour les médias, de montrer du doigt la grande distribution et d’accuser la frénésie des acheteurs d’hypermarchés. Je lis dans Ouest France du 26/04/05 : « Des années que les distributeurs étranglent les façonniers. La profession a réagi en délocalisant… toujours à la merci d’un donneur d’ordres qui décide d’aller voir ailleurs s’il ne peut pas trouver encore moins cher. »
Sur le lien entre hypers et processus de délocalisation, j’ai déjà répondu (ma note du 14/04). Sur la part de marché de la grande distribution et l’évolution des prix, laissez-moi vous donner en primeur les quelques chiffres que je vais transmettre dans les prochaines heures aux commissions ad hoc du Sénat et de l’Assemblée Nationale.
1- Contrairement à une idée très répandue, les hypers et supermarchés ne commercialisent que 18,3% du marché textile en France. Etablies le 20 décembre 2004 par la société TNS-SECODIP, les parts de marché des ventes de textile en valeur, s’établissent comme suit, par catégorie de distribution.
2- Les centres E. Leclerc réalisent 22% des ventes de GMS. Notre enseigne a beau être en tête du secteur, et la seule en progression, son chiffre d’affaires ne représente que 4,3% des ventes de textile France (3.5% pour la femme, 3.9% pour l’homme, 6.2% pour la tranche enfants-ados 0 à 16 ans).
3- L’analyse des provenances confirme la place prépondérante de l’Asie (et pas simplement de la Chine) :
Chine 21.5%
Total Asie (dont Chine) 53.5%
Europe (dont France) 28%
Proche-Orient 12%
4- Le textile représente 7 à 10% du chiffre d’affaires (selon la taille du magasin) d’un centre E. Leclerc. La marge moyenne du rayon n’a pratiquement pas évolué ces cinq dernières années. Elle est de 22 à 27% selon le poids des soldes (de 5 à 16% selon les hypers). La moyenne des prix de vente a chuté de 11% en 2005, quand les prix d’achat baissaient de 15%. Si l’on tient compte de l’accroissement des coûts de transport (qui explique à lui seul l’écart entre les deux chiffres), la baisse des prix a totalement été répercutée dans les prix de vente.
Bilan : Le point 2 confirme bien la forte présence des produits chinois. Quoi d’étonnant puisque selon les statistiques de la Banque Mondiale, la Chine, qui emploie près de 20 millions de salariés dans le textile, réalisera 50% des ventes mondiales en 2008. Mais attention, à se focaliser sur ce seul pays, on oublie de s’intéresser aux autres « dragons » dont la progression des ventes n’est pas liée à la suppression des quotas chinois !!!
Les points 1 et 2 témoignent de ce que si les hypermarchés jouent incontestablement un rôle dans l’évolution de l’offre, les boutiques et les enseignes d’indépendants, souvent franchisés ou revendeurs de grandes marques, façonnent la mode et préconisent les gammes.
J’ajoute enfin que malgré une réelle baisse de prix dans l’ensemble des réseaux, le secteur reste moribond et les ventes ne progressent pas depuis deux ou trois ans. Le textile semble particulièrement souffrir d’arbitrage de consommation au profit du secteur des loisirs ou de l’équipement de la maison.
Voilà chers internautes, des chiffres qui confirment l’importance des enjeux, mais qui témoignent que la partie est déjà largement jouée. Inutile donc, vous en conviendrez, de persister dans un quelconque procès à l’égard de la distribution moderne.

6 Commentaires
Très éclairant
Erosoft
Oui le consommateur est souvent présenté comme la victime.
Victimes des producteurs, de la mode, de la pub., du crédit, de la consommation…
Et si le consommateur était le bourreau (masochiste)
Ca demande c’est lui, donc le marché c’est lui.
Le décideur au bout de la chaîne c’est lui,donc le responsable c’est lui.
Simpliste mais plaidoyer pour la responsabilité du consommateur.
Le journaliste est un consommateur : difficile d’avouer son irresponsabilité.
Le journaliste est un producteur : difficile de dire à ses clients (les lecteurs) qu’ils sont irresponsables
Donc c’est la faute à la GMS et aux patrons qui délocalisent.
Mais Erosoft les centrales d’achats ne sont-elles pas quelquefois des bourreaux (sadiques) ?
Ce qui est très éclarant dans le tableau de MEL, c'est que les boutiques indépendantes ne représentent plus que 14 % de la distribution. La "nouvelle distribution" (comprenant tous les canaux GMS, VPC, réseaux, et demain Internet) est évidemment une révolution aussi majeure que la révolution industrielle du début du siècle dernier et un acteur déterminant et incontournable de la mondialisation.
A ce titre elle évidemment responsable d'une partie très significative de la redistribution des cartes mondiales.
Pour moi la seule question est "est-ce un bien à long terme ?" et ma réponse est "Oui".
Cela crée-t-il des drames à court terme, et ma réponse est "Oui".
Faut-il des mesures d'accompagnement, et la réponse est encore "Oui".
MEL, comme tout acteur majeur de l'économie, vous portez une responsabilité dans l'évolution de notre société. Il n'y a pas de changement sans abandon et d'abandon sans souffrance. Si nous sommes convaincus que la voie est la bonne, il ne reste qu'à compatir et accompagner les "abimés" de la mondialisation, par une "économie sociale de marché" et le développement du "commerce équitable" : le développement durable quoi !
Les centrales d'achat seraient moins sadiques si nous même clients n'étions pas client de celui qui sera le moins chers!
D'autre part les camemberts présentés montrent bien que les consommateurs se fournissent aussi bien dans les hypers que dans les autres types de distribution, donc je trouve expéditif de dire c'est la faute des hypers de la part des journalistes qui pourrait lire correctement leur source :-)
Evidemment, en tant que distributeur et vu notre part de marché, j’assume complètement la responsabilité des impacts de mon métier sur la société. Il en est de positifs (je me bats pour qu’ils soient reconnus). Il en est de négatifs (et à moi, autant que faire se peut, de les compenser).
En l’occurrence, ma responsabilité c’est de favoriser, à conditions économiques acceptables, les produits fabriqués en France. C’est le système qu’ont mis en place nos acheteurs en créant une sorte de « first call » dont bénéficient, dans le jouet, l’ameublement ou le textile, les producteurs français. Encore faut-il que ceux-ci nous livrent. Comme ce ne fut pas le cas, notamment dans le textile, je n’accepte évidemment pas le rôle du « responsable » et j’entends bien, comme le rappelle Erosoft, ne pas être un bouc émissaire.
On ne peut décemment pas, Babylone, reprocher au consommateur son indifférence. A conditions d’achat égales, les clients préfèrent globalement acheter français. Toutes nos études le montrent. Mais si l’on a fait sauter les frontières et libéré les échanges, il n’y a aucune raison de culpabiliser les consommateurs et de les empêcher d’en profiter.
En revanche, l’abaissement des barrières douanières aurait dû être accompagné de mesures de soutien tant de la part des pouvoirs publics que des organismes interprofessionnels. C’est toute l’hypocrisie de la situation actuelle. Les organisations patronales crient au loup, sollicitent pouvoirs publics, commissions ou grande distribution, mais dans ce concert, oublient d’avoir à justifier le bilan critique de leur propre inaction. Quant aux pouvoirs publics, ils peuvent dire ce qu’ils veulent et pousser la chanson des « clauses de sauvegarde ». Ils n’ont absolument pas remis en cause le principe de l’ouverture des marchés. Pas la peine, dans ces conditions, de nous montrer du doigt.