ÉCONOMIE
Actus / Débats
Respect des clauses sociales : Efficacité et limites des audits éthiques
Ce matin, j’ai réuni une vingtaine de collaborateurs et de consultants de retour d’Asie et d’Amérique Latine. Objectifs : établir un rapport d’étape sur les audits sociaux ; mesurer leur efficacité et les limites de l’exercice.
D’abord, un premier bilan chiffré : entre 2000 et 2005, notre enseigne a fait auditer 300 fournisseurs. En gros, toutes les fabriques qui participent à la fourniture des produits commercialisés sous nos marques d’enseigne auront été couvertes par ces investigations. A ce travail propre à l’enseigne, il faut adjoindre les résultats d’un autre millier d’audits réalisés par les autres enseignes d’hypermarchés. Nous avons en effet décidé tous ensemble de mutualiser tous nos audits respectifs dans une banque de données, mise en place par la Fédération du Commerce et de la Distribution, de manière à optimiser le coût de ces opérations, et ne pas les rendre redondantes. (Blog du 18/05/05)
Sur le fond maintenant : qu’en est-il du constat sur le terrain. Je livre cette synthèse.
1. L’interdiction de faire travailler des enfants de moins de 14 ans est rédhibitoire. Son défaut d’application vaut boycott du fournisseur. A travers nos audits, aucune infraction à cette règle n’a été constatée. Idem chez nos concurrents.
2. Par contre, 80% des usines visitées ont des problèmes (d’inégale importance) avec les règles de sécurité (protection personnelle, stockage ou exposition aux produits chimiques).
3. Dans la grande majorité des fabriques, le temps de travail réglementaire est largement dépassé (quelquefois jusqu’à 100-120 heures).
4. 50% n’appliquent pas de salaire minimum ou des primes d’heures supplémentaires (il est vrai que, comme en Chine, il n’y a pas toujours de législation de référence).
5. Un grand nombre de fabriques ne sont pas en règle avec les recommandations de l’OIT concernant les assurances des salariés au travail et les assurances sociales en général.
Bien qu’impressionnante, cette liste, de l’avis de mes interlocuteurs, ne permet pas de mesurer la réalité des progrès accomplis. Il faut rentrer dans le détail de chaque relation avec les fournisseurs.
Depuis 4-5 ans, me disent-ils, une véritable prise de conscience s’est imposée. La pression concomitante des ONG, des institutions internationales, des médias, et des acheteurs (à travers les chartes comme les nôtres) a créé un réflexe positif. Charles Ly Wa Hoï, notre coordinateur « développement durable » insiste : « Beaucoup d’entreprises intègrent nos exigences éthiques dans leur démarche qualité. Elles en font même désormais un élément de leur marketing. Les progrès sont plus significatifs dans le domaine de la sécurité ou de l’hygiène, dont les adaptations sont du domaine technique et finalement assez peu coûteuses. Mais le gros du chantier, ça reste les salaires, les horaires et les contrats de travail ».
La généralisation des audits a fini par faire taire les susceptibilités et les résistances psychologiques. Les administrations locales profitent de nos recommandations pour faire appliquer un peu plus les lois nationales.
J’interroge chacun, responsable de son secteur : textile, jouets, papeterie, etc… La conviction est générale. Les audits ne sont pas mal faits. Les enquêteurs sont rodés.
Michelle Wong qui dirige notre bureau à Hong-Kong, rappelle qu’au début, les tensions sont fortes dans les mois qui suivent les plans d’actions correctives que nous demandons. Mais, le sens du « business » de nos fournisseurs, l’envie de garder les marchés, ou de se valoriser…tout ça fait que ça finit par marcher.
Les limites maintenant ! 90% de nos collaborateurs dans nos bureaux d’Asie sont des « locaux ». C’est plus par fierté nationale et par conviction personnelle qu’ils se sont engagés dans cette démarche sociale. Ils sont aux avant-postes, ils sont au contact des ONG et croient dans la progressivité et au bien-fondé de la démarche. Mais ils sont tout, sauf naïfs. Ils relèvent trois écueils :
a) S’il faut se référer aux conventions ou aux législations des pays, il faut encore qu’elles existent. En Chine, par exemple, il n’y a pas de texte fondant la liberté d’association (syndicale) ou garantissant un salaire minimum ! Le maintien d’une relation commerciale dépend donc en grande partie de critères subjectifs, y compris, chez nos auditeurs.
b) On ne peut auditer que ce que l’on voit. En amont des usines de transformation ou d’assemblage, il y a une économie villageoise qui peut être le siège de nombreuses discriminations : sexe, culture, religion, âge.
c) Nos audits et notre démarche ne sont efficaces que pour autant que les administrations locales s’appuient sur nos démarches et les relayent en permanence.
d) Enfin, une part encore importante des achats passe par des intermédiaires, importateurs ou industriels transformateurs. La traçabilité n’est pas parfaite. Ces contrôles nous échappent.
Voilà un petit topo récapitulatif que je voulais vous livrer. Pour être encore plus précis, je me propose, dans une prochaine note, de prendre un cas d’entreprise pour que vous puissiez apprécier encore mieux les difficultés, mais aussi l’intérêt de ces initiatives.
9 Commentaires
Un point qui ne ressort, mais qui est fréquent, c'est le harcèlement des femmes dans les usines.
Demandez à Martine brousse de rentrer en contact avec Fédina, vous verez vous ne serez pas déçu.
Pouvez vus en dire plus ???
Merci
Res
Eh bien, Res, si quelqu’un signale qu’un fournisseur fait travailler des enfants (directement ou indirectement, au mépris des lois nationales et prescription de l’OIT), nous ne travaillerons pas avec ce fournisseur.
Mais pour nous en assurer, c’est un sacré boulot. Il faut remonter très en amont. Les enfants sont souvent utilisés pour le travail sur la matière première, dans les tanneries et quelquefois dans les mines. Ces actes sont souvent commis dans des lieux et dans des firmes qui se situent dans une relation non contractuelle, et quelquefois même inconnues des transformateurs auxquels nous achetons la marchandise. C’est là où les ONG sont quelquefois hypocrites à notre égard. Qui mieux que les états, les administrations, ou même les organisations internationales peuvent aller vérifier directement sur place. Elles en ont le mandat, le droit, alors que vis-à-vis de ces exploiteurs, nous ne pouvons nous revendiquer d’aucun intérêt commercial, ni de droit à agir directement.
Ok bruno et merci. Je demande à Martine Brousse (La Voie de l’Enfant) de contacter Fédina.
Non, Erosoft. Payer plus cher au stade du détail ne garantit aucunement qu’en amont, le commerçant va acheter plus cher. Il peut garder la marge pour lui.
Et à supposer qu’il le fasse, rien ne garantit qu’à son tour, l’industriel n’en profite pas pour réinvestir ailleurs plutôt qu’à améliorer le sort de ses salariés.
Pour répondre plus complètement, je dirais : l’effort doit être mieux rémunéré. Mais la rémunération supplémentaire ne suffit pas à garantir l’amélioration des pratiques.
il y a une dizaine d'annee je frequentais vos services en charge de l importation des produits venant des pays d extreme orient
je travaillais avec les personnes en charge des achats (pas la siplec mais au sein du galec pour les initiés...) et je m étais offusqué de savoir que des enfdants travaillaient dans les ateliers qui nous fournissaient
la réponse fournie était toujours la même : si nous ne les faisont pas travailler, ils mourront de faim...
les temps ont changés et le discours s'adapte
les marges bénéficiaires restent...comment croire à votre conversion vers une économie responsable ?
Je ne comprends pas votre remarque. J’ai participé, en tant que cadre, à l’organisation de nos premiers services achats à l’étranger. J’étais dans les premiers voyages d’achats en Asie. Je sais bien qu’à l’époque, il n’y avait pas d’audits sociaux. Mais je connais personnellement tous les adhérents E. Leclerc et les cadres qui se rendaient en Asie, sur les sites industriels. Jamais ils n’auraient fermé les yeux sur une quelconque exploitation des enfants ou des femmes. Et au contraire, ce sont ces personnes-là qui sont à l'origine de la démarche éthique qui a été mise en place, dans notre groupe, depuis plusieurs années. C’est à tort que vous parlez de conversion. Nos idées n’ont pas changé. Tout simplement, avec la taille, nous pouvons aujourd’hui disposer d’autres moyens de contrôle et d’investigation.
je confirme qu'a l'époque, au sein du GALEC GT4 aux haudriettes ou par la suite à issy, les themes du travail et des clauses sociales qui ne portaient pas de nom faisaient naitre d'âpres discussions...pour autant, je concede que les temps ont changés et je ne remets pas en cause votre sincérité personelle.
au fait, j'ai approché françois ginies (le mans et commission acdlec) au sujet de mon projet de formation sur le developpement durable...
a suivre, j'espere...