ÉCONOMIE Enjeux de la distribution

Assignations Lefebvre : la justice limite l’interventionnisme de l’exécutif dans les relations industrie-commerce

L’affaire est en route depuis plus de deux ans et elle était scrutée de près par le landerneau de la distribution. Il faut dire que l’ancien gouvernement, qui avait fortement médiatisé ces assignations, voulait des sanctions exemplaires et l’administration ne faisait pas mystère de vouloir mettre au pas E.Leclerc, voire même l’ensemble de la distribution.

Mardi 24 septembre 2013, la Première Chambre des Affaires contentieuses du Tribunal de Commerce de Paris s’est donc prononcée sur les assignations (16 août 2011) du Ministre de l’Economie et des Finances à l’encontre de notre enseigne.

Plus de 75 millions d’euros (excusez du peu !) étaient en jeu pour E.Leclerc. Pensez donc ! L’administration avait épluché près de 300 accords commerciaux conclus en 2009 et 2010 entre le Galec et pas moins de 96 fournisseurs référencés.

Que nous reprochait le Ministre Lefebvre pour décider ainsi d’assigner le Galec (notre centrale de référencement) ? Il considérait qu’E.Leclerc profitait d’une situation de déséquilibre significatif et qu’il avait obtenu de ses fournisseurs des avantages indus.

Bercy réclamait que le Galec reverse près de 60 millions d’euros au Trésor Public (qui aurait redistribué cette somme aux fournisseurs « lésés ») et s’acquitte d’une amende civile de pas moins de 15 millions d’euros.

Le jugement du Tribunal de Commerce déboute le ministre. Et ce faisant il clarifie, par la précision de ses motivations, deux points majeurs, caractérisant la notion de déséquilibre significatif, notion sujette à toutes les interprétations.

Ainsi, rappelle le juge, « le contrôle de l’équilibre contractuel (…) doit porter sur les deux composantes, qui sont cumulatives :

– L’élément de coercition, ‘’soumettre ou tenter de soumettre’’,

– les ‘’obligations créant un déséquilibre dans les droits et obligations des parties’’ ».

De l’absence de contrainte sur les fournisseurs

Le juge reproche d’abord au ministre d’avoir poursuivi le Galec sur la base du déséquilibre significatif sans chercher à démontrer l’existence d’une forme de contrainte qui aurait été exercée par le Galec sur ses fournisseurs.

Et de conclure son analyse de la contrainte en déboutant le ministre : « En conséquence, le fait que ces CPV aient été signées par les fournisseurs ne saurait suffire à démontrer l’absence de négociation, ni davantage leur adhésion contrainte à des conditions prédéfinies par le Galec. Il aurait été nécessaire que le Ministre apportât les preuves tangibles des éléments constitutifs de la contrainte ou de la coercition dont il fait grief au Galec ».

Le juge adresse donc un carton rouge à l’administration en dénonçant une sorte d’enquête à charge contre E.Leclerc : « il est d’autant plus surprenant que ceci n’ait pas été fait, que la DGCCRF disposait des moyens d’investigation lui permettant de procéder à l’audition des représentants des fournisseurs dont les contrats sont incriminés, comme elle l’a fait pour ceux du Galec (…) Si les inspecteurs avaient fait les mêmes démarches auprès des fournisseurs, ceci aurait permis au Ministre d’apporter au Tribunal un éclairage précis sur les pressions ou contraintes dont ces fournisseurs auraient, le cas échéant, pu être victimes de la part du Galec ».

De l’absence d’intervention dans la formation du prix

Se fondant à la fois sur une décision du Conseil Constitutionnel rendue en 2011 (n°2010-85 QPC du 13 janvier 2011), sur les articles L.132-1 et L.410-2 du Code de la Consommation et sur l’article 1591 du Code civil, le Tribunal conclut que la notion de déséquilibre significatif ne saurait être entendue comme pouvant porter sur l’adéquation du prix au bien vendu.

Autrement dit, le juge n’est pas autorisé par la loi à modifier le prix de vente d’un produit négocié entre professionnels.

Le Tribunal estime également que le Ministre n’était pas fondé à considérer qu’il put y avoir eu menace de rupture des relations commerciales par le Galec si les fournisseurs avaient refusé les conditions de l’enseigne.

Dans sa grande sagesse, le Tribunal de Commerce de Paris aura donc signifié au pouvoir exécutif qu’il existe des limites à son intervention dans les relations commerciales entre professionnels, notamment en ce qui concerne l’aspect relatif à la formation du prix.

Une clarification bienvenue

La décision, rendue en première instance est bien entendu susceptible d’appel. Je ne sais pas à cette heure ce que décideront le nouveau ministre et ses conseils. Mais ce jugement vient, après deux ans de procédure, rasséréner un peu nos adhérents et nos équipes salariées au moment où vont s’ouvrir les prochaines négociations commerciales.

Pour ma part, j’aimerais que, au vu de ce jugement extrêmement bien motivé, l’administration mette un terme à ce genre de polémique qui ne sert ni la cause de l’administration ni celle des consommateurs, et rend toute négociation trop aléatoire.

Soit les pouvoirs publics décident de s’inviter directement à la table des négociations commerciales, et à ce moment-là établissons alors les contrats à 3 ! Soit on laisse les acteurs librement commercer, sans jeter la suspicion a priori sur le seul acheteur, et les conditions de la négociation s’en trouveront optimisées.

PS : Un « détail » en passant – si la Loi Hamon avait déjà été en vigueur, nous aurions dû payer l’amende civile exigée par le ministre, avant même d’avoir le droit de nous défendre devant un juge…

Nous n'avons malheureusement pas pu conserver les commentaires pour cet article et nous vous prions de nous en excuser.

0 Commentaires

Laisser un commentaire

Cette adresse n'apparaîtra pas à la publication