Contre la tentation poujadiste
La France subit les conséquences d’une grave crise morale et politique. Vu le nombre de Français qui ont voté non au référendum, les leaders des partis institutionnels ne peuvent décemment pas fuir le débat en se retranchant derrière la dénonciation du caractère hétéroclite de l’opposition à la Constitution. Ils auraient tort de s’obstiner à mépriser la force des revendications, encore plus à assimiler le vote de nos concitoyens à une bouffée de peur xénophobe (épouvantail turc, concurrence du plombier polonais, délocalisations, etc…).
De la même façon, on est en droit d’attendre des Fabius, Mélenchon, Emmanuelli, etc…, ou même de Marie-George Buffet et de Philippe de Villiers, qu’ils assument leurs responsabilités et les conséquences d’un vote pour lequel ils ont milité. Ils ne sont certes pas au pouvoir. Mais qu’il s’agisse de l’Europe, ou de la politique nationale, il y a obligation de clarifier les positions et de nourrir les plateformes alternatives dont ils se revendiquaient. A la lecture des journaux depuis une semaine, force est de constater qu’on en est loin.
Après l’euphorie sur les plateaux de télévision, le contenu politique (ne parlons même pas d’économie) s’est concentré sur cet ersatz : la dénonciation des élites et de leurs privilèges, et la coupure des décideurs d’avec la France d’en bas. Le réflexe était tentant. D’autant qu’il révèle une part de vérité (indemnité de Daniel Bernard, appartement de Gaymard, corruption marchés publics Ile-de-France, etc…). Qui d’entre nous, frustré ou déçu, n’a pas envie de régler son compte à ce système monarchique, et dont les quelques avancées démocratiques sont sans arrêt confisquées par des castes dans les administrations centrales ou dans les entreprises ?
Nous vivons effectivement, comme le dit Strauss-Kahn, une vraie crise de régime, et plus encore que la constitution européenne, ce sont nos institutions qu’il faut revisiter. Nous en reparlerons ici. Pour autant, le procès permanent fait aux élites finit par tenir lieu de contre-projet politique. Trop facile à mon goût. Cette posture est bâtie sur un mensonge et entretient un ferment poujadiste qui freine toute velléité de réforme.
1) Il faut lire les propos délirants de Jean-François Kahn dans son dernier éditorial de Marianne (1/06) : « Les dirigeants de la FNSEA ont choisi le oui, les paysans ont voté non. Michel-Edouard Leclerc…a préconisé le oui : les caissières et les petits commerçants ont tiré le non. Le MEDEF s’est prononcé pour le oui : la moitié des patrons de PME ont dit non. Les vingt PDG les mieux payés du CAC 40…pour le oui : leurs ouvriers ont massivement plébiscité pour le non ». En somme, que vous soyez riche ou que vous soyez pauvre… Avec des raisonnements aussi simplistes, voilà le rédac chef de Charlie Hebdo, le Président d’Emmaüs, Martin Hirsch, et tous les leaders de la Confédération des Syndicats Européens (ils ont appelé à voter oui) désignés comme ennemis de classe par JFK (remarquez, l’exercice lui est facile, sa rédaction n’a pas elle-même eu le courage de prendre position) ! ! !
2) Les analyses politiques publiées ce week-end infirment cette caricature. Sur l’échelle des catégories sociales, le recul du oui par rapport à Maastricht touche l’ensemble des Français, y compris les cadres, les professions libérales et les diplômés de l’enseignement supérieur. Sur la carte géographique, la Bretagne et l’Alsace, dans toutes leurs composantes (y compris populaires), ont voté oui. Et si l’on regarde l’électorat politique, sur les 55 % du non, 25 à 27,5 % viennent de l’électorat traditionnel de la gauche et, l’autre moitié, de la droite. C’est faire fi de la diversité et de la richesse des argumentaires que d’entretenir l’explication réductrice d’un « non » venu de la seule France d’en bas (Cf. Dominique Reynié – JDD 05/06).
3) Là où cela devient dangereux, c’est quand une signature aussi médiatique que JFK cautionne, avec un tel discours, l’idée que la France « légale » ne représente plus qu’une minorité de la France réelle. Un paradoxe quand on sait que plusieurs des leaders du non n’ont pas été capables de se faire réélire au Parlement. Et ça dérape carrément quand François Darras, rédacteur en chef de Marianne, se soulage : « …s’il fallait réellement couper d’urgence quelques têtes pour calmer la hargne populaire, ce sont pratiquement l’ensemble des hauts responsables du pays, ceux de la gauche installés comme ceux de la droite installés, ceux de la sphère économique et financière et singulièrement les hauts responsables des médias qu’il faudrait sacrifier ». Robespierre, le retour !
4) C’est typiquement français : la critique des notables devient le thème central dont sont friandes les élites elles-mêmes quand elles passent du côté de l’opposition. Il est, à cet égard, symptomatique de voir combien le discours poujadiste (anti-parlementaire et anti-élitiste), autrefois apanage de la droite, s’installe dans le discours de la gauche. Sur son blog, Sébastien rappelle combien nos élites, justement, auraient eu à gagner à ne pas céder en permanence à la pression populaire.
Raymond Barre ne dit rien d’autre (Fig Mag du 05/06) quand il dénonce la couardise des décideurs politiques face au poids des corporatismes toujours prompts à descendre dans la rue pour bloquer le pays et piller le budget de l’Etat. C’est moins d’élitisme que souffre la France que de clientélisme. Pour que notre pays sorte de sa torpeur, nous avons besoin d’hommes publics et de décideurs qui s’engagent, des personnalités fortes qui prennent des risques, qui disent haut et fort leurs projets…et qu’on en débatte.
Dans l’histoire, le populisme n’a jamais produit que la montée des extrêmes et son corollaire : la régression sociale et intellectuelle.
10 Commentaires
Pas bien sûr de ça moi...1/4+1/2=1 y'a quelque chose que je pige pas bien là...
Lorsqu'une mesure est annoncée, on a souvent trop tendance à en attendre les résultats immédiatement.
Pas plus tard que cette semaine où Villepin annonçant sa fameuse échéance des 100 jours, aussitôt commentée ainsi : "comment va-t-il réduire le chômage en 100 jours quand depuis 3 ans ils ne font rien ou n'arrivent à rien?" ... Il me semblait avoir compris moi, qu'ils allaient travailler en priorité sur le dossier de l'emploi et proposer des actions dans les 100 prochains jours. Il est évident que les résultats ne seront pas immédiats et que Noël cette année sera difficile encore pour pas mal de familles..
je suis bien d'accord avec vous lorsque vous parlez du clientélisme comme un des maux dont souffre la France et j'ajouterai que ce n'est pas seulement au niveau des dirigeants de l'Etat mais également dans le monde du travail et cela m'inquiète beaucoup au moment où je vais être jeunes diplomés de Grandes Ecoles et où je vais devoir trouver mon premier emploi
J'ajouterai, aussi, sur un plan plus personnel que j'en ai ma claque de ses politiciens qui font de la politique leur jouet : "bah la politique c'est notre métier, on en fait ce qu'on veut" mais le rôle de l'homme politique n'est-il pas de faire avancer la société, l'institution pour laquelle il a été elu dans l'intérêt du plus grand nombre ?
Or ce que j'ai vu au cours de la campagne pour le référendum pour la consitution européenne m'a fait mal au ventre. Ces gens ont passé plus de temps à descendre leur collègue d'en face plutôt que d'essayer de proposer des alternatives, d'étayer les raisons de leur positionnement ( oui ou non) et il me semble que c'est le cas tout les jours lorsque l'on entend parlé nos dirigeants (majorité ou pas)
Alors comme vous je veux des personnes qui prennent des positions, qui les défendent et sur lesquelles on peut débattre.
Voilà
OK Emile, ma formulation n’était pas claire. Il faut lire : « sur les 55% du non, à peu près la moitié (de 25 à 27,5%) vient de la gauche et l’autre moitié (l’autre 25 à 27,5%), de la droite.
C’est tout le problème de la communication. Bien sûr, de Villepin voulait dire que le gouvernement se donnait 100 jours pour bâtir un plan de travail efficace. Mais la société des médias a ses lois et ses interprétations. Les médias ne sont pas neutres… !
D’accord, donc, avec vous. Reste que l’observation ne vaut pas simplement pour les politiques. Dans les entreprises, aussi, nous devons faire notre aggiornamento. Quel est le discours des chefs d’entreprise aujourd’hui par rapport aux préoccupations des Français. En quoi rassure-t-ils ? En quoi innovent-ils ? Et je rajouterai… les intellectuels aussi nous font furieusement défaut. Quand on regarde le rôle précurseur qu’a joué la génération d’après-guerre dans la construction de l’Europe, il y a aujourd’hui un vide que les programmes de télévision ne vont évidemment pas combler.
présent à la conférence de LSA sur la réforme de la loi Galland... je ne viens certainement pas vous parler de ceci mais de : que faire pour repartir du bon pied en France ?
J'ai une rage froide qui monte depuis fort longtemps.
Il y a dix ans, j'avais créé un groupe de réflexion et d'actions après une année autour du monde et un retour en France : frappé par notre société sclérosée et compartimentée, j'avais écrit un manifeste... quand on a 30 ans c'est à nous de prendre les choses en main.
Dix ans plus tard, je veux m'engager mais où, comment ?
La base d'un nouveau manifeste pourrait en partie être les réflexions contenues dans un article de Eric Le Boucher, du Monde, qui écrivait abuptement et efficacement les enjeux et les mensonges qui nous guident depuis fort longtemps.
Nous sommes comme après la guerre de 45, sans un sursaut lié à de tels évènements contraint de repenser ce qui fera la force de notre pays demain.
Contrairement à ce qui a été dit, ce n'est pas d'écoute dont nous avons besoin mais d'espoir , d'envie, d'énergie et de force de persuasion. Si les Français on dit non, ce n'est pas qu'on ne les écoute pas mais bien qu'on ne les mène nulle part.
J'ai mesuré, à mon échelle combien dans des situations difficiles, de crise, il était possible en désignant un but, en donnant un sens de faire que des personnes touchées dans leur travail continuent à vous suivre.
Nos compatriotes sont très éduqués, lucides... et toujours prêts à faire preuve de générosité. Mais à qui donner de son temps, de son énergie et de son intelligence aujourd'hui?
Je revois encore VGE inscrire au tableau la courbe du chomage en 1981... si nous avons 10% de chomage, c'est que nous achetons la paix civile et politique par un ensemble de dispositifs. Qui est prêt à poser l'équation au français, en des termes réalistes sur un retour à une société avec 5% de chomeurs?
J'en ai assez d'entendre que les contraintes, l'Europe, le caractère des Français rendent les choses impossibles, encore faut-il y croire.
Alors MEL, vous entendant faire l'analyse du scrutin des Européennes, je me suis dit... pourquoi ne pas construire une autre force politique (tout simplement n'est ce pas?).
Bref où s'engager ajourd'hui? Ma conviction est que nous vivons une fin de règne, qu'en dehors de Sarko et de Villepin, que Chirac essaye de griller d'un coup, beaucoup ont du talent mais peu d'hommes émergent. Le parti socialiste se perd et ne propose pas grand chose.
Mes 40 ans me font moins croire au grand soir, mais je suis prêt à parier que nous n'attendrons pas 2007 pour voir des élections.
Faut il parier sur un travail de changement interne et sur des contributions dans des structures existantes ou construite sur du neuf ...
Oui, Petrus, ma conviction aussi est la même : nous vivons une fin de règne. Et le parti socialiste lui-même est bien englué dans ses querelles de personnes.
Mais, désolé, je n’ai pas pour projet de construire une nouvelle force politique. Je ne crois pas qu’il manque d’hommes de bonne volonté. Ce sont les institutions qu’il faut faire bouger. Je serai plus efficace, fort de la crédibilité et de la notoriété de notre enseigne, pour lancer des idées et taper dans la fourmilière.
Au Poujadistan, impossible de trouver un emploi stable. A l'ANPE, il y a même des annonces bidons pour travailler un jour, deux jours, ou un mois. Qu'est-ce qu'on y gagne?? Rien. Des dérives libérales, il y a pas mal. Ce repli identitaire et ces aboiements contre le FISC parce-que soi-disant ils ne peuvent plus embaucher, et oui, ça se passe comme cela malheureusement au Poujadistan. Une mauvaise odeur du 20ème siècle qui n'est autre qu'une maladie qui met mal à l'aise beaucoup de demandeurs d'emploi.
Je pense que Dominique de Villepin va parvenir à faire baisser vraiment le taux de chomage et ce sans ambiguité.
Je crois fortement en l'égalité des chances notamment pour les gens qui sont victimes de discrimination du fait de leurs origines ou leurs handicap. C'est inacceptable. Dominique de Villepin doit prendre des mesures sérieuses contre ce fléau en mettant en place autre chose que le concept sarkozien de la discrimination positive.
La reconnaissance de n'importe quel individu quelque soit ses origines sociales et/ou ethniques, s'il a un handicap est plus qu'indispensable dans notre société actuelle qui doit avoir confiance de mieux en mieux et être plus humaine, sociale et solidaire.