Débat : jusqu'où et pourquoi un libraire devrait-il censurer son offre de livres ?
À la lecture de l'article de Solange Bied-Charreton dans Marianne, on est estomaqué de voir à quel point les clivages et la violence du débat politique français ont des impacts non seulement sur la fébrilité des médias et sur les réseaux sociaux, mais désormais sur les métiers de l'édition de la librairie ?
"Quoi, vous vendez les livres de Sylvain Tesson, de Gaëlle Paty ? Vous n'allez tout de même pas vendre Bardella, hein ?!"
Une chose est de choisir (c'est un droit), une autre est de censurer ! On marche sur la tête...
Idem pour la vente de livres qu'on découvre "antiscience", "antivax" ou complotistes ! (ici, je me réfère à l'article de Nicolas Berrod et Jila Varoquier du Parisien).
On a l'impression que les libraires sont en front inversé avec les critiques littéraires, les journalistes ou commentateurs politiques : voici que naît une sorte de confusion des rôles : celui qui vend doit savoir, doit trancher, bannir ou... subir ?
Voilà qu'on exige l'exercice d'une responsabilité qu'il faudrait exercer au mépris de la légalité, et d'un choix qui bafouerait pluralisme et débat d'idées qu'il s'agit justement... d'alimenter. 🙏
Un libraire, qu'il soit indépendant, petit ou grand, sous une enseigne (FNAC, Espaces Culturels Leclerc, Cultura) est un prof professionnel qui a choisi de diffuser des livres sous toutes leurs formes, selon leur passion, mais aussi pour des clientèles différentes.
Il achète ou sélectionne une offre qui la plupart du temps est proposée par des diffuseurs et selon des contrats, reçoit des "offices" (les nouveautés), renvoie des invendus (ou essaie 😉) et complète son offre selon sa clientèle, son choix professionnel et même son engagement. Bref, il a une "marge de manœuvre" pour une production régionale ou thématique, il peut être militant lui-même, il édite des recommandations.
Mais ce sont les critiques littéraires, les publicités, les commentaires faits ailleurs, voire les notations, prix littéraires ou classements qui font le marché. Même les algorithmes épousent et confortent les comportements.
Oserais-je dire qu'enfin, un libraire doit aussi vivre de son métier.
La librairie n'est pas un service public. Et donc, alors que l'avenir du livre n'est pas écrit d'avance, venir demander au libraire de censurer une offre, voilà qui est incongru.
Aucun libraire ne peut lire tous les livres qu'il a en stock. Et quand bien même il en lit beaucoup, comment distinguer entre 2 livres à prétention scientifique celui qui découd les rapports du GIEC et celui qui les amende ?!
Alors, quand je lis que les libraires, les plates-formes ou les enseignes "portent une responsabilité", je trouve ça super dédouanant pour ceux qui savent. 🙀
Au nom du pluralisme, chacun s'exprime et fait sa critique dans son journal ou son émission de télévision. Bizarre d'ailleurs qu'on interpelle pas les éditeurs eux-mêmes !!! Et, qu'au fond, en interpellant la responsabilité du libraire, c'est la notion de pluralisme et de démocratie qu'on atteint.
Il n'y a débat que dans le contradictoire. Demander au libraire de boycotter le contradicteur, c'est lui offrir notre contradiction ! ☝️
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