Michel Serres disparition hommage
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Michel Serres : éloge d’un philosophe optimiste

Dans ma vie, grâce à mon métier, mais aussi par la curiosité suscitée par mon patronyme, j’ai fait de belles rencontres dont je parle parfois sur ce blog. Des gens simples, des entrepreneurs, des personnages passionnés...

A la fac, Michel Serres a été de ceux-là. Tandis que j’écrivais poussivement une thèse d’économie à Paris I, je fréquentais les amphis de philo à la Sorbonne avec Jérôme Garcin (futur créateur du Magazine Littéraire et animateur du Masque et la Plume sur France Inter) et aussi Alain Etchegoyen, vrai fils spirituel de Michel Serres, auteur du "capital lettres, des littéraires pour l’entreprise".

Inutile de rappeler que pour le provincial apeuré et mal dégrossi que j’étais, accéder aux savoirs des professeurs du Collège de France et de la Sorbonne m’excitait beaucoup.

On l’a oublié. Mais s’il a fréquenté les ateliers de Vincennes, Michel Serres, Suzanne Bachelard fille de Gaston Bachelard, Dominique Desanti et Wladimir Jankelevitch n’étaient pas du tout cotés par les zélateurs de l’après 68. A la bourse des nouveaux philosophes, formés des bataillons d’anciens trotskistes et maos, Michel serres faisait figure d’un "gentil". Son "irrécupérabilité" par une mouvance politique irritait.

La première fois que j’ai vu officier (joke) ce gascon, ancien de la marine et fils de batelier, j’ai été emballé par le personnage. L’amphi était plein (Paris IV) : au premier rang, que des filles, les plus jolies, en mode sourire énamouré. Il lui est arrivé souvent d’entrer avec sous le bras, une BD, un vieux grimoire, un sablier ou un astrolabe. Ce jour-là il avait posé devant lui un sachet en papier kraft d’où il extrayait un à un en ménageant son effet, des bigarreaux qu’il portait à sa bouche comme les ingénues dans les films de Losey. Vous avez compris, on allait parler du désir, de la jouissance, du plaisir, des émotions ! Il avait tout compris de la société du spectacle et de la communication (nous avons discuté moult fois par la suite des pubs de Philippe Michel et de Jacques Séguéla). Véritable passeur de savoir, on le suivait dans les bars du "Boulmich" au Rostang, et plus tard, mes finances le permettant, au Balzar, boulevard Saint Germain.

Ce que j’ai tout de suite aimé chez lui, c’est ce sens du partage. Le maître est dans son rôle : il manipule les concepts, dissèque les phrases et, fronçant les sourcils, le regard planté tout à tour dans celui de chacun de son auditoire, il pratique une sorte de maïeutique où chacun à l’impression de progresser.

Plus tard, nous avons beaucoup échangé sur notre passion réciproque pour la bande dessinée. Hergé, La ligne claire. Il suivait chaque remise de prix à Angoulême, feignant l’étonnement mais se précipitant boulevard Saint Germain dans la librairie Album. Il m’a fait un superbe cadeau le premier soir de la première Guerre du Golfe. Il m’a fait inviter par Jean-Marie Cavada dans une de ses "Marche du siècle" qui devait marquer bien des esprits. Ah, ah, malin il l’était aussi. Dans l’idée de constituer un fond éditorial des plus grands textes scientifiques, il avait entrepris de me mobiliser pour chercher des mécènes. Le tonneau était sans fond... Heureusement, le numérique et l’extension du digital m’ont sauvé la mise. Sur ce sujet notamment, il a eu de fortes anticipations. A plusieurs reprises il est venu parler de cette révolution technologique et sociale devant mes collaborateurs. Mais c’est devant trois ou quatre mille d’entre-eux qu’il a dernièrement, dans la grande salle du Palais des Congrès, attiré notre attention sur les risques planétaires et sollicité un investissement de tous dans le développement durable. J’espère bien qu’on ne le décevra pas.

PS : sur cette photo, Michel Serres avait répondu à l’invitation de Philippe Séligmann (DG Communication de E.Leclerc) et Nicolas Paepegaey au centre, aujourd’hui responsable du digital chez Intermarché. L’ancien professeur n’a jamais cessé de faire école. ?

3 Commentaires

Vous rendez là un bel hommage à l'inoubliable auteur de "Petite poucette".
Michel Serres, un grand et bel esprit, humaniste lumineux.
Bonjour MEL, vous avez eu de la chance de côtoyer un tel esprit. Michel Serres était un pédagogue hors norme, un fabuleux raconteur d'histoires. Dimanche dernier, jour de scrutin européen, il était l'invité d'Ali Badou sur France Inter en lieu et place des politicards habituels ; c'était beaucoup mieux ainsi. RIP
Et lors de cette émission avec Ali Badou Michel Serres fut merveilleux d’intelligence. Et de clairvoyance, en particulier dans sa vision de la langue française !

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