ÉCONOMIE
Actus / Débats
Alors que débute la négociation sur les prix, à quoi joue l’administration ?
C’était mardi dernier, lors du colloque « Négociations commerciales » organisé par le journal LSA. J’intervenais après Madame Homobono (DGCCRF), Frédéric Lefebvre (notre ministre !) Jean-René Buisson (ANIA) et Olivier Desforges (Ilec)… On n’attendait pas de moi que je vienne servir la soupe ! J’ai profité de l’occasion pour dénoncer l’immixtion inopportune, discrétionnaire et abusive de l’administration dans la négociation commerciale. Je vous livre ici le pourquoi de cette attitude.
1 - La loi de modernisation économique (LME) a voulu rétablir la liberté de négocier les tarifs et de vendre moins cher. Avant, avec la loi Galland, ce n’était pas possible. Trop d’intérêts, relayés au Parlement s’y opposaient. La majorité parlementaire (Accoyer, Ollier, Jacob etc) n’était pas acquise à la LME. Idéologiquement, l’administration défendait l’idée que pour obtenir une ristourne ou une réduction de prix, il fallait que le distributeur fournisse des prestations de service (les fameuses marges arrière). Il a fallu les lois Dutreil I, Dutreil II et Chatel, pour aboutir enfin à la liberté.
Des tractations ont eu lieu. J’ai moi-même assisté à ces « marchandages » dans les couloirs de l’Assemblée Nationale, au Sénat et bien sûr à Bercy. Je peux confirmer que les « modernistes », parmi lesquels Nicolas Sarkozy, alors Ministre des finances, et ses conseillers ont dû beaucoup batailler. Hélas, ils ont aussi, pour faire passer la pilule auprès de l'ANIA et la FNSEA, beaucoup promis de « mettre au pas » les réseaux d’hypermarchés.
2 - La première salve d’assignations Novelli a outrageusement illustré ce volet de l’affaire. Une opération médiatico-politique ! La distribution (toutes enseignes confondues, de Castorama, Darty à Carrefour et à Lidl) a été ainsi donnée en pâture à une opinion agricole déboussolée par la fermeture des robinets de Bruxelles. Assignations à « caractère pédagogique » ? Tu parles : on est dans les tribunaux pour au moins 4 ou 5 ans, et pour chaque affaire, avant que d'entendre dire le Droit.
3 - Si Bercy avait vraiment voulu permettre aux industriels et aux distributeurs d’affiner leurs contrats, l'administration aurait éditée, comme promis lors d'une précédente journée LSA, un guide des bonnes et mauvaises pratiques. Il les aurait incités à saisir la CEPC, dans un climat de sérénité et d’anonymat.
En saisissant systématiquement la justice, le gouvernement plombe les travaux de la CEPC. (Cette institution avait paradoxalement été créée par ceux qui la contournent aujourd’hui !!!).
4 - Avant de partir du ministère, Novelli a fait miroiter aux distributeurs que moyennant un engagement solennel de se plier aux recommandations de la DGCCRF, il n’y aurait plus d’assignation ! Ils se sont bien fait avoir ! Frédéric Lefebvre, oubliant sa propre capacité d’arbitrage, et cautionnant le double discours, annonce à LSA qu’il poursuivra les distributeurs à chaque fois que la DGCCRF le lui proposera.
Deux remarques :
1/Les constitutionnalistes pourront gloser sur ce curieux cas de soumission d'un ministre à l’égard de son administration !
2/Il y a théoriquement deux signataires au contrat, un industriel et un distributeur. Expliquez-moi pourquoi on ne poursuit que le distributeur ? C’est quand même un comble qu’un ministre du commerce annonce qu’il va flinguer en priorité ses propres ouailles.
Pour les hommes d’action que nous sommes, il n’est même plus temps d’alimenter le débat, de contester, d’argumenter. Nous sommes enfermés dans l’expression d’un rapport avec l’Etat qui devient complétement discrétionnaire et irrationnel.
Industriels et distributeurs doivent avoir signé les accords commerciaux 2012 avant le 1er mars (c’est la loi). Leur signature va mobiliser des dizaines, peut-être même des centaines de juristes des deux côtés du front ! Nous savons désormais que la DGCCRF viendra tout contrôler dès la semaine suivante (comme l’année dernière !). Je propose qu’on se prémunisse contre l’insécurité juridique actuelle et que l’on inverse la charge de la preuve.
Comment faire ?
Puisque l’administration s’invite désormais à la négociation, et s’autorise à disqualifier les contrats sitôt signés ; puisqu’elle fait fi de la double signature de l’industriel et du distributeur et qu’elle n’assigne au final que le distributeur ; et puisqu’enfin le systématisme est revendiqué par l’administration, le distributeur n’a que trois solutions.
a. Les contrats sont signés, avec une clause considérant qu’ils ne seront valables qu’après l’approbation de la DGCCRF.
b. Autre variante proposée avec gourmandise par Serge Papin lors des journées LSA : tous les distributeurs déposent leurs contrats dès le 28 février au soir sur l’autel de la DGCCRF qui les valide.
c. Autre variante encore : la DGCCRF publie un contrat type. Cela aurait au moins le mérite de régaler nos juristes et de leur faire connaître, par avance et sans attendre les décisions judiciaires, les critères objectifs sur lesquels l’administration se fonde pour définir « un déséquilibre économique significatif »
d. Tous les industriels (type Nestlé, L’Oréal, Danone, Procter, Unilever, dont personne n’oserait prétendre qu’ils puissent être sous dépendance économique d’un distributeur) s’engagent à défendre le contrat qu’ils ont signé, avec nous, devant n’importe quelle juridiction, et y compris contre le ministre. A défaut, il n’est de l’intérêt de personne de signer un contrat.
C’est la solution que je préconise auprès de nos acheteurs. Après tout, que vaut un contrat bilatéral si la signature de l’une des parties n’est ni honorée ni assumée ?
Il n’y a qu’en France que nous rencontrons ce genre de situation ; en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre, c’est la liberté qui prévaut et l’Etat n’intervient qu’en cas d’abus. Et encore, l’Etat ne va-t-il pas chercher ex post sa légitimité devant les tribunaux !
Je souhaite le retour à un Etat, régulateur mais impartial ! Un ministre du commerce qui défende notre vision face à celle des industriels qui ont leur propre ministre !
Si on ne s’était pas opposé aux industriels l’année dernière, si on n’avait pas osé négocier, on aurait 5 à 6% d’inflation en 2011.
On voudrait aujourd’hui nous empêcher de lutter contre l’inflation qu’on ne s’y prendrait pas autrement !
8 Commentaires
Les négociations sont présentées comme des combats dans votre billet d'humeur. Je veux bien le croire. L'état veut prendre le rôle d'arbitre...finalement rien d'étonnant!
En effet comme chaque intervenant demande des subventions et des aides pour se développer en prétextant que sa marge est réduite à cause des négociations inéquitables, l'état doit vérifier que ses subventions et aides sont correctement utilisées.
5à6% d'inflation...A lire 60 millions de consommateur octobre 2011, le café carte noire +16.3%, l'huile Iso 4 lesieur +15%, Knacki Herta x10 +9.5%. Une hausse globale de 2.93% en 6 mois de leur chariot est constatée.
Outre les trois solutions assez irréalistes que vous proposez afin d'obtenir la sécurité juridique à laquelle tout opérateur économique doit pouvoir prétendre, il en existe une quatrième, pourtant la plus évidente : le recours à un avocat auquel vous confieriez la mission de valider votre plan d'affaires annuel.
Comme chacun sait, en matière de conseil juridique les avocats ont un monopole et sont soumis à une obligation de résultat si bien que toute condamnation qui serait prononcée en raison du caractère illicite d'une des clauses "type" de votre plan d'affaires annuel autoriserait la mise en cause de la responsabilité professionnelle de l'avocat ce qui vous permettrait – au pire - d’être indemnisé à hauteur du préjudice subi.
A noter qu’en matière de relations « industrie/commerce », la fonction de la DGCCRF n'est pas de délivrer des consultations juridiques, ni de valider ex ante des contrats, mais :
(1) de constater les infractions aux dispositions pénalement sanctionnées du titre IV livre IV du code de commerce : obligation de conclure une convention unique, respect des délais de paiement en matière de produits alimentaires, interdiction de revendre à perte, interdiction d'imposer un prix minimum à la revente et de les porter à la connaissance du ministère public,
(2) d’introduire des actions devant le tribunal de commerce spécialisé compétent au nom du ministre, lorsqu'elle constate une pratique restrictive de concurrence interdite par l'article L442-6 du Code de commerce : déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ou rupture abusive des relations commerciales...
En d’autres termes, la DGCCRF est un « gendarme » chargé de constater et poursuivre certaines catégories d'infractions et pas un avocat.
A chacun son métier.
J'ai regardé l'emmission sur france 5 et je puis vous affirmer que vous m'avez impressioné
par votre courage et votre franchise.
Aprés cet entretien vous m'avez conforté de rester fidèle comme client.
Vous étes un homme trés conrageux honnête et sincère,malheureusement des hommes comme vous se font de plus en plus rare dans se monde de plus en plus égoïste,surtout ne changez pas,
encore merci et bravo.
Un client anonyme mais fidèle.
Les négociations sont présentées comme des combats dans votre billet d'humeur. Je veux bien le croire. L'état veut prendre le rôle d'arbitre...finalement rien d'étonnant!
En effet comme chaque intervenant demande des subventions et des aides pour se développer en prétextant que sa marge est réduite à cause des négociations inéquitables, l'état doit vérifier que ses subventions et aides sont correctement utilisées.
5à6% d'inflation...A lire 60 millions de consommateur octobre 2011, le café carte noire +16.3%, l'huile Iso 4 lesieur +15%, Knacki Herta x10 +9.5%. Une hausse globale de 2.93% en 6 mois de leur chariot est constatée.
Outre les trois solutions assez irréalistes que vous proposez afin d'obtenir la sécurité juridique à laquelle tout opérateur économique doit pouvoir prétendre, il en existe une quatrième, pourtant la plus évidente : le recours à un avocat auquel vous confieriez la mission de valider votre plan d'affaires annuel.
Comme chacun sait, en matière de conseil juridique les avocats ont un monopole et sont soumis à une obligation de résultat si bien que toute condamnation qui serait prononcée en raison du caractère illicite d'une des clauses "type" de votre plan d'affaires annuel autoriserait la mise en cause de la responsabilité professionnelle de l'avocat ce qui vous permettrait – au pire - d’être indemnisé à hauteur du préjudice subi.
A noter qu’en matière de relations « industrie/commerce », la fonction de la DGCCRF n'est pas de délivrer des consultations juridiques, ni de valider ex ante des contrats, mais :
(1) de constater les infractions aux dispositions pénalement sanctionnées du titre IV livre IV du code de commerce : obligation de conclure une convention unique, respect des délais de paiement en matière de produits alimentaires, interdiction de revendre à perte, interdiction d'imposer un prix minimum à la revente et de les porter à la connaissance du ministère public,
(2) d’introduire des actions devant le tribunal de commerce spécialisé compétent au nom du ministre, lorsqu'elle constate une pratique restrictive de concurrence interdite par l'article L442-6 du Code de commerce : déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ou rupture abusive des relations commerciales...
En d’autres termes, la DGCCRF est un « gendarme » chargé de constater et poursuivre certaines catégories d'infractions et pas un avocat.
A chacun son métier.
J'ai regardé l'emmission sur france 5 et je puis vous affirmer que vous m'avez impressioné
par votre courage et votre franchise.
Aprés cet entretien vous m'avez conforté de rester fidèle comme client.
Vous étes un homme trés conrageux honnête et sincère,malheureusement des hommes comme vous se font de plus en plus rare dans se monde de plus en plus égoïste,surtout ne changez pas,
encore merci et bravo.
Un client anonyme mais fidèle.