Le temps des médias n’est décidément pas celui de l’entreprise. Quand LSA annonce la création d’une alliance européenne forte de « 15 000 magasins dans une quinzaine de pays », ça devient vraiment difficile, même pour un chef d’entreprise aguerri, de mettre les journalistes en attente… et d’expliquer, sur la défensive, que, du rêve à la réalité, il peut s’écouler un certain temps.
Dans son numéro du 6 octobre, LSA annonce donc la création d’une « spectaculaire alliance européenne (83 milliards d’euros) entre E. Leclerc, Rewe (Allemagne), Conad (Italie) et Coop (Suisse) ». Et dans la foulée, le journal en déduit que Lucie, centrale d’achats commune à E. Leclerc et Système U, risque de disparaître.
Cette information a évidemment jeté un sacré trouble d’autant que, partout en Europe, s’ouvre une intense période de négociations commerciales. A bon droit, les fournisseurs (plus encore que les médias) aimeraient savoir à qui ils auront affaire !
On ne saurait faire grief à LSA d’avoir tenté le scoop. Mais il faut trier le bon grain de l’ivraie. Une mise au point s’impose : état des lieux et rectification.
1) En France : Lucie, et le partenariat économique E. Leclerc/Système U
Les enseignes E. Leclerc et Système U regroupent des commerçants indépendants. Ils exploitent des hypers, des supers, et même des supérettes (pour Système U).
Chacune des enseignes est concurrente. A l’intérieur de chaque enseigne,
les exploitants sont concurrents entre eux aussi.
(…Ce qui ne les empêche pas de partager des valeurs communes. Récemment, les deux organisations ont décidé, avec Intermarché, de rejoindre la Fédération du Commerce Associé pour y défendre la spécificité des groupements d’indépendants).
Pour creuser l’écart par rapport à leurs rivaux intégrés (Carrefour, Auchan, Casino), E. Leclerc et Système U ont décidé d’optimiser ensemble une partie de leur approvisionnement et de leur logistique.
Une coopérative (Lucie) pilote des opérations économiques communes : achat de carburants, fourniture des gammes 1ers prix (marque « Eco + » pour Leclerc, « Bien Vu » pour Système U) et négociation de certaines conditions d’achats avec les grandes marques nationales.
Il s’agit donc d’un partenariat économique limité à l’amont de leur activité. Limité mais efficace… Les deux enseignes font, depuis trois ans, la course en tête pour l’augmentation des parts de marché dans l’hexagone ! ! !
L’évolution de la doctrine administrative (sic) a néanmoins restreint les perspectives d’évolution de Lucie. Eh oui, alors qu’ils ont donné leur bénédiction à la fusion Carrefour-Promodès, les pouvoirs publics remettent en cause l’intérêt concurrentiel des regroupements d’indépendants. Certes, le Rapporteur du Conseil de la Concurrence a abandonné les griefs contre Lucie, suite à une saisine décidée en 1999 par Dominique Strauss-Kahn, alors Ministre des Finances. Mais les gouvernements de J.P. Raffarin et de D. Villepin sont revenus à la charge. L’article 49 de la loi Jacob/Dutreil persiste à ne voir dans nos projets coopératifs qu’une simple volonté de globaliser des chiffres d’affaires (faisant fi de leur impact très positif sur la concurrence et sur les prix).
Dans ce contexte de suspicion, les deux groupes sont désormais convaincus qu’il va être très difficile de négocier, librement ensemble (et même au niveau européen), avec les grandes marques nationales. Aussi, revoyant à la baisse l’ambition du partenariat, nos organisations sont tombées d’accord : Lucie verra son périmètre d’action recentré sur ses missions initiales.
Système U, de son côté, recherche des partenaires sur le marché européen, tandis que notre enseigne va organiser ses opérations transnationales dans une structure créée avec son allié italien Conad.
2) En Europe : Coopernic, structure commune de E. Leclerc et Conad
En Italie, le groupe Conad (numéro 2 de la distribution) était allié à un autre grand groupement coopératif (Coop Italia, numéro 1). Constatant que leur part de marché allait atteindre 30 %, l’Office Italien des Cartels a demandé qu’il soit mis fin à cette collaboration. Conad, à la recherche d’un partenaire européen, a souhaité que nous prenions le relais.
Nous avons évidemment dit banco, d’autant qu’établi sur des territoires différents (et non concurrents), ce projet ne pouvait que recevoir la bénédiction des autorités européennes (il a d’ailleurs reçu les encouragements personnels de Romano Prodi, lors de l’anniversaire des 20 ans de Conad !).
C’est en mai 2002 que notre enseigne et Conad ont conclu leur alliance.
Celle-ci recouvre des domaines de l’amont (les mêmes qu’avec Système U en France), mais aussi de l’aval (développement de l’enseigne E. Leclerc, co-piloté en Italie par une structure commune, Conalec). Tous les hypers de Conad sont passés sous enseigne E. Leclerc (nous inaugurons le dix-huitième cette semaine). Les supermarchés feront de même au fur et à mesure qu’ils passeront hyper.
Dans le prolongement de ces discussions est né le projet
Coopernic. Cette société, basée à Bruxelles, est une union de coopératives regroupant « une trentaine d’associés » : les seize centrales régionales françaises de notre enseigne, les quatre centrales d’achats de notre groupe à l’étranger (Portugal, Espagne, Pologne, Slovénie), la société Conad et ses huit centrales régionales, ainsi que notre société commune franco-italienne.
Par ses statuts, la société Coopernic aura pour objet de fournir à ses membres
« tous les services de négociations transfrontalières et tous les services d’approvisionnement en marchandises, denrées, biens d’équipement, supports et espaces publicitaires, quel qu’en soit le média, nécessaires à l’exercice de leur commerce ».
3) Perspectives et possibilités d’extension
Face à la concentration croissante des distributeurs intégrés au niveau européen, E. Leclerc et Conad ont le projet d’essayer de fédérer plusieurs autres groupes de commerçants indépendants européens (fiers de l’être et voulant le rester !).
Comme le souligne LSA, il en existe d’autres. Intermarché, Eroski (Espagne) et Edeka (Allemagne) ont créé un euro-groupe, Alidis, en juin dernier.
Dans cette recomposition du paysage européen de la distribution, il est évident que
« tout le monde parle avec tout le monde ». Et pas seulement les groupements cités par LSA ! ! ! Mais pour autant que ces discussions permettent la confrontation des analyses des dirigeants de tous ces groupes, il est prématuré d’imaginer ce que sera leur décision. Ni les domaines d’activités dans lesquels leurs associés-coopérateurs souhaiteraient engager ces collaborations.
Donc, je tiens à clarifier les choses.
Seuls E. Leclerc et Conad sont, pour le moment, engagés dans le projet Coopernic (les statuts de cette coopérative étant bien évidemment ouverts à de futurs associés potentiels).
17 Commentaires
Que vont en dire les gens d'ATTAC et toutes les associations qui s'étaient réunies pour dire Non à la constitution que veulent nous imposer les Maîtres du Monde capitaliste.
Consommez moins, il vous restera quelque chose !
Vala. C'était juste un petit coucou comme ça en passant.
Les politiques nous offrent celle des "confiseurs", les distributeurs celle des "foires aux vins". Sic transit gloria mundi!
C'est reparti ; et à lire les commentaires sur le blog du jour : à tombe dru.
Au rique de paraître naïf, je me dis qu'un petit peu de clarté et de précisions suplémentaires ici ou là quant aux intentions de Leclerc pour les négociateurs qui se demandent à quelle(s) sauce(s) ils vont être mangés, ne peut pas faire de mal. Pour l'instant donc : antipasti et sole meunière, ça reste digeste. Y ajouter une assiette valaisanne et des wurst; l'ensemble même arrosé de bière belge, c'est trop.
Alors, oui, ces précisions, pour l'instant, c'est tout bon.
Indépendant vous êtes dans une stratégie d’alliance et de coopération, condition de l’expansion ou de la survie. Aujourd’hui il faut voir plus large que l’hexagone et votre note est claire sur la volonté et les objectifs et on comprend bien que s’il y a des contacts, quoi de plus normal entre partenaires potentiels, rien n’est encore fait.
Mais vous le savez bien les journalistes sont des grands stratèges, qui profitent de chaque indice pour faire coller la réalité à LEUR vision des choses.
P.s. pour une meilleure compréhension du non-expert :
En quoi la doctrine administrative empêche le développement de Lucie ? car j’imagine que sur le plan juridique vous êtes bordé pour ne pas tomber sous le coup des ententes
Pour quelles raisons les hyper Conad passent sous enseigne Leclerc ?
Pour faire un parallèle avec un autre secteur, celui de l’automobile, il fut un temps ou en dehors des fusions point de salut et la presse et les analystes financiers annonçaient la disparition à terme d’un certain nombre de constructeurs.
Quelque année plus tard, force est de constater qu’à l’exception de Renault-Nissan ces opérations lourdes et coûteuses en terme financier, industriel et humain, n’ont pas donné les effets escomptés quand elles n’ont pas été des échecs.
Dans ce contexte des indépendants ont résisté et ont développé des stratégies d’alliance et de coopération qui aujourd’hui se révèlent assez payantes. Survie des marques et économie d’échelle sur certaines productions.
Pouvez vous donner des chiffres?
Pour ce qui est de Lucie j'ai cru comprendre que c'était les adhérents U qui avaient été les grands bénéficiaires de cette alliance. On parle d'une moyenne de 4%(pour eux) de gains dans leurs conditions d'achats! mais ça je ne suis pas sur que vous le confirmiez! :-)
Vous venez d'ouvrir en mars dernier votre première enseigne de sport et équipement de la maison dans l'Oise visiblement destiné à etre dévelloppé.Pourriez vous me confirmer le rachat de la société MONDIAL PECHE, déjà présente sur l'ensemble du territoire avec 42 magasins ?
Non, mon groupe n’a pas racheté la société MONDIAL PECHE.
Oui, le changement d’enseigne en Italie produit une belle progression de chiffre d’affaires. De l’ordre de 10 à 30% ! Mais évidemment, il ne s’agit pas simplement de l’effet provoqué par l’apposition du nom E. Leclerc. Car dans le même temps, c’est toute l’offre qui est revisitée, retravaillée, avec tout l’apport de l’expérience de E. Leclerc France. Notamment sur le non-alimentaire, puisque Conad avait peu d’expérience en matière d’hypermarché.
Lucie ? Il est difficile de chiffrer l’apport du partenariat E. Leclerc/Système U pour chacun de nos adhérents et associés. Il y a un tel ego dans les groupes d’indépendants qu’à la limite, chacun prétend avoir apporté plus à l’autre. De toute façon, c’est invérifiable. Aucune base quantifiable. La seule chose qui est sûre : les deux groupes font la course en tête à la conquête de parts de marché. L’émulation est donc efficace.
Lucie ? C’est une union de coopératives. Jusqu’à une date relativement récente (1995 ?), les pouvoirs publics ont encouragé les regroupements de commerçants indépendants. Ils y voyaient un moyen de stimuler la concurrence en incitant des commerçants de taille moyenne à vouloir grandir « ensemble ». De fait, cette formule a proliféré dans les années 80-90. Intermarché, Système U, E. Leclerc parmi les généralistes. Intersport, Optic 2000, Monsieur Meuble, Phox (photo)… chez les spécialistes.
Mais contrairement à l’évolution du droit européen qui a pris le relais pour favoriser ces « bonnes ententes », le droit français les a rendues plus suspectes. C’est un paradoxe. Les concentrations type Carrefour-Promodès sont désormais mieux considérées que les ententes ou les groupements. J’y vois des raisons politiques. Sur le plan économique, cette suspicion ne me semble pas avoir de sens. Les deux peuvent produire de bons comme de mauvais effets sur le marché. Mais s’il est une chose dont je suis sûr, « c’est que seuls les types de regroupements que nous défendons, sont à même de sauver ce qui reste de commerçants indépendants en France et en Europe. »
Conad ? C’est parce que ce groupement partage notre point de vue que nous avons créé une véritable alliance. Bien sûr, comme dit dans la note précédente, nous achetons ensemble (l’union fait la force). Mais surtout, il y a un vrai échange. Nous apportons nos savoir-faire : concept hypermarché, assortiment non alimentaire, nouveaux segments d’offres (tels que carburant, parapharmacie, espace culturel…) et capacité importatrice. En échange, ils nous aident à accroître le développement de notre enseigne en apposant celle-ci sur leurs hypermarchés et en investissant avec nous dans un programme d’ouvertures impressionnant en Italie.
Pour conclure, et faire référence à votre dernière remarque sur le secteur des concessions automobiles, je partage votre avis selon lequel des stratégies d’alliance bien étudiées peuvent être des stratégies gagnantes. Elles sont difficiles à mettre en œuvre. Il faut dépasser les individualismes et l’ego de chaque entité (c’est pas rien !!!). Mais par rapport à une fusion, le concept d’alliance permet de ne mettre en commun que les outils nécessaires. Il optimise la force collective, sans nuire à la capacité individuelle de décision sur le terrain. C’est ce qui fait la performance actuelle des centres E. Leclerc ou des magasins U, par rapport à des systèmes plus intégrés comme ceux de Carrefour ou de Casino (pour le moment du moins, je touche du bois).
J'aime beaucoup ce que vous faites et ce que vous etes. Mais je tenais a vous dire que le Centre Leclerc de Honfleur nuit terriblement à votre image.
Situé sur le 13 éme site français, visité, je pense que le propriétaire n'a pas de souci à se faire! ailleurs, je doute qu'il puisse etre pérène.
Cordialement.
Je reçois beaucoup de remarques de consommateurs qui vont dans votre sens. J’ai envoyé un petit mot au directeur. Je pense effectivement qu’il faut investir pour améliorer le confort d’achat, la propreté et le look général du magasin. Il le sait. La balle est dans son camp !
Est ce que quelqu'un pourrait me donner les coordonnées de cette centrale d'achats Copernic, ainsi que la personne responsable des ressources humaines.
Merci
le monde avance bon ou mauvais l'histoire nos le dira. C'est vrai que l'on n'a jamais vu un salarié s'enrichir, mais à partir de quel investissement ? alors que le chef d'entreprise après des fois avoir investi à partir de ses propres biens a bien sur beaucoup plus de chance de finir riche mais aussi complètement fauché. Et si c'est le cas le salarié retourne à l'ANPE avec des droits à 100%; que reçoit l'ex chef d'entreprise ?
Quand comprendra-t-on dans ce pays que le résultat est lié à la prise de risque; à mon avis jamais. On trouve normal qu'un chanteur ou footballeur gagne des millions mais surtout pas unn chef d'entreprise. La chape de plomb des années communistes nous pourrira encore longtemps la vie économique, même si face à certains abus d'entreprise leur rôle pourrait être important. Il faut revoir notre mentalité et celle de nos dirigeants et puis c'est vrai veiller à ce que les grands groupes ne fassent pas n'importe quoi. Le monde bouge si on ne bouge pas avec lui on regressera.
Vous pouvez faire parvenir un acte de candidature à COOPERNIC, Louise Tower, Avenue Louise 149, 1050 Bruxelles, Belgique.
Bonjour Monsieur,
D'origine Bretonne, native de Morlaix, j'ai toujours été admirative de votre parcours exemplaire.
je me permets de vous contacter aujourd'hui pour vous proposez la vente d'un centre commercial disign contemporain très bien situé tout proche de Rome qui pourrait correspondre à l'installation d'un centre culturel Leclerc.
Le centre peut être vendu dans son intégralité ou bien uniquement la LICENCE.
je vous remercie de bien vouloir m'indiquer une adresse mail afin que je puisse vous transmettre photos et plans.
Veuillez agréer, mes salutations distinguées.
Catherine BARBIER.