Eroski transformé en Leclerc : adhérents Isla Azul et Lawrence Brun à Carabanchel (Madrid)
Vu de l’extérieur (du consommateur ou de l’analyste), la réorganisation d’un magasin lors d’un changement d’enseigne est uniquement affaire de professionnalisme. Il est vrai que depuis une dizaine d’années, chaque ville de France a connu nombre de ces changements.
La réalité est moins évidente. Passer « d’Atac » à « Simply Market » bouscule le comportement des clients. Transformer « Carrefour » en « Carrefour Planet » reste un pari d’image. Et quand l’enseigne nouvelle reste inconnue ou peu connue du public, la gageure devient une prise de risque.
Les Centres E. Leclerc ont récemment lancé deux chantiers de ce type. L’un en Pologne, après l’acquisition d’une vingtaine de magasins « Billa » passés aux couleurs d’E. Leclerc. L’autre en Espagne où 7 hyper « Eroski » affichent désormais l’enseigne E. Leclerc.
J’étais mercredi à Madrid, à la fois pour booster affectueusement les équipes et évaluer l’échelle des besoins (contribution de notre organisation française à cette initiative). A l’écoute des adhérents comme des cadres, j’ai mesuré à quel point les défis étaient autant d’ordre culturel que technique, humain avant que d’être commercial ! Et c’est parce qu’on parlera peu de ces aspects-là dans la presse et dans les écoles de commerce qu’il me semble intéressant de s’y appesantir ici.
Le défi technique et organisationnel :
L’implantation de E. Leclerc en Espagne n’est pas récente, mais le réseau, bien que performant, est encore petit joueur dans la péninsule. Racheter 7 hypermarchés « Eroski », regroupés dans la banlieue de Madrid, constituait une véritable opportunité. Et sitôt le deal bouclé, nos
9 adhérents espagnols ont mis en place un GIE de 35 personnes en charge des fonctions « achat, comptabilité, RH » pour ces 7 magasins. C’était il y a 6 mois. Dès septembre, ils lançaient un partenariat avec une société logistique « Truck and Wheel » en charge de la préparation, du stockage et de l’expédition des marchandises PGC-marques nationales (40 % du chiffre d’affaires) puisqu’aucune structure de soutien, ni d’approvisionnement ne faisait partie de la corbeille de la mariée.
Les 7 hyper sont tous situés dans des zones de population très dense. Mais la situation économique de l’Espagne devient franchement mauvaise. 18 mois successifs de baisse du CA pour le commerce de détail (- 5,8 % sur les 12 derniers mois). La cause ? Un chômage qui atteint 23 % de la population active et des ponctions terribles sur le pouvoir d’achat.
Ici plus qu’ailleurs, c’est en martelant sur les prix bas qu’on fidélisera. Pas question de jouer à « E. Leclerc Planet » : c’est avec €co + et Marque Guia qu’il faut attaquer. Ici, le différentiel de prix de vente entre marques nationales et marques propres est le plus important d’Europe, soit 44 % !!!
Le défi culturel :
Voilà l’enjeu pour notre enseigne. La distribution espagnole n’a pas attendu E. Leclerc, qu’elle connaît peu si ce n’est dans quelques villes (Pampelune, Ciudad Real, Aranjuez, Leon, etc).
Faire revenir des clients qui ont désaffecté des magasins anciennement « Eroski » reste une gageure. Eroski a pâti ces dernières années du procès fait aux Basques. Mais on lit aussi parfois sur internet que Français ou Basques, c’est pareil !
C’est donc sur le terrain de la rationalité économique (prix et offres) qu’il faut convaincre. A Vallecas et à Pinto, nos adhérents jouent à fond sur la publicité comparative. Rayon par rayon, ils relèvent les prix de leurs concurrents (quelquefois trois fois par jour), les affichent en magasin versus les leurs. Impact assuré.
Le défi humain :
Tout le personnel d’Eroski a été repris. Ils n’y croyaient plus. Soit parce qu’espagnols eux-mêmes, ils trouvaient injuste la sanction politique dont était victime Eroski, soit tout simplement parce qu’ils n’avaient plus de ligne directrice à laquelle rattacher leur travail, ni l’espérance de garder leur boulot.
Cela a changé. Tous m’ont exprimé leur surprise de voir désormais, dans chacun des magasins, une direction très présente qui fait le tour des rayons, discute des ruptures, du remplissage, et surtout repasse toutes les heures pour vérifier un prix, la pertinence d’une offre promotionnelle !
L’adhérent de Pinto, lui, m’a exprimé avec émotion cette découverte : quand il a repris cet hyper, les salariés n’étaient pas ses clients. Il les a associés à la confection des nouveaux prix pour les convaincre de la réalité de la baisse des prix. Il a organisé des dégustations pour leur faire découvrir les nouvelles MDD. Ils sont redevenus les ambassadeurs du magasin.

Des adhérents et des cadres français sont venus donner un coup de main : de Normandie, de Poitou-Charentes ou de Bordeaux. Ca cause mi-espagnol mi-français dans les rayons. Ambiance ! Un management que certains qualifieront de « trop » paternaliste, mais qui produit sa part de chaleur, un jeu d’équipe et surtout une dynamique nouvelle.
Pour moi c’est une évidence. Il y a urgence à nourrir la promesse commerciale. Mais la réussite du changement d’enseigne passera d’abord par la résolution de ce défi humain et culturel.
12 Commentaires
Je crois que vous avez raison. Pour réussir en Espagne il faut jouer la carte petit prix mais aussi s'intéressé à la proximité avec le client. L'espagne est le pays des bars à tapas et de la paella entre autre. Donc la réussite passera par la chaleur humaine dans les magasins.
Ouverture trop rapide, dés équipes beaucoup trop "légères"... Si ça marche...chapeau, rien à dire....
Je lis votre blog pour la première fois. Ce qui m'y a poussé: je cherchais à écrire un article pour mon propre site internet, sur les valeurs d'entreprise et votre exemple me paraissait intéressant.
En lisant cet article, je trouve que votre commentaire: "les défis sont autant d'ordre culturel que technique, humain avant d'être commercial"résume bien la position que je défends: les valeurs d'entreprise ou celles d'un projet, comprises de manière opérationnelle et concrète, sont un socle efficace sur lequel s'appuyer.
Je vous souhaite une bonne continuation.
Cordialement,
Delphine Baudu
la necessité fait loi .... les individus vont se recentrer sur els fondamentaux et je pesne que E.Leclerc à sa carte à jouer sur la peninsule...la maitrise de l'interculturel est la clef du succes.
de plus la creation de magasins permet d'introduire une nouvelle politique commerciale et d'offrir d'autres produits...
Je te propose une paire de castagnettes et un habit rouge pour aller venter les produits du rayon charcuterie!
Je crois que vous avez raison. Pour réussir en Espagne il faut jouer la carte petit prix mais aussi s'intéressé à la proximité avec le client. L'espagne est le pays des bars à tapas et de la paella entre autre. Donc la réussite passera par la chaleur humaine dans les magasins.
Ouverture trop rapide, dés équipes beaucoup trop "légères"... Si ça marche...chapeau, rien à dire....
Je lis votre blog pour la première fois. Ce qui m'y a poussé: je cherchais à écrire un article pour mon propre site internet, sur les valeurs d'entreprise et votre exemple me paraissait intéressant.
En lisant cet article, je trouve que votre commentaire: "les défis sont autant d'ordre culturel que technique, humain avant d'être commercial"résume bien la position que je défends: les valeurs d'entreprise ou celles d'un projet, comprises de manière opérationnelle et concrète, sont un socle efficace sur lequel s'appuyer.
Je vous souhaite une bonne continuation.
Cordialement,
Delphine Baudu
la necessité fait loi .... les individus vont se recentrer sur els fondamentaux et je pesne que E.Leclerc à sa carte à jouer sur la peninsule...la maitrise de l'interculturel est la clef du succes.
de plus la creation de magasins permet d'introduire une nouvelle politique commerciale et d'offrir d'autres produits...
Je te propose une paire de castagnettes et un habit rouge pour aller venter les produits du rayon charcuterie!