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Loi Galland - Réforme impraticable : copie à revoir

C’est ce matin que le Conseil des Ministres débattra du projet de loi portant réforme de la loi Galland, cette loi qui empêche les distributeurs les plus dynamiques de vendre moins cher. Le gouvernement n’a pas retenu l’essentiel du dispositif préconisé par la Commission présidée par le député Chatel. Le texte qu’on nous propose est confus. Les marges arrière tant décriées y sont maintenues à un niveau très élevé (20 %). Le calcul du prix de vente devient un casse-tête et une source d’erreurs. L’insécurité juridique pour les distributeurs devient maximale tant les sanctions sont renforcées. Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui inciterait les distributeurs à baisser les prix. Rapide survol des éléments-clés du nouveau dispositif : 1) Conditions générales de vente et tarifs des fournisseurs (CGV) : Jusqu’ici, on nageait en pleine ambiguïté : l’administration a soutenu pendant longtemps que les CGV étaient négociables, mais ne s’est pas opposée, dans les faits, aux prétentions des industriels qui refusaient qu’on y touche. Le nouveau projet prévoit qu’elles pourront être différenciées, mais en respectant un formalisme qui exclut une véritable négociation. a) L’écart doit être justifié par une contrepartie réelle et proportionnée. Cette condition n’est pas claire. Je le dis pour les néophytes, c’est un jargon « en trompe-l’œil ». On ne dit pas « proportionné par rapport à quoi ». Seule, l’administration en a la clé d’interprétation. Et puis, quelle est la contrepartie d’une baisse de prix ? Si le yaourt Danone est moins cher, en cours d’année, que celui de Nestlé, ce dernier va devoir ajuster ses tarifs. Faudra-t-il « inventer » une contrepartie (prestation de services ?) alors qu’il s’agit simplement d’un alignement sur un concurrent. b) Le projet prévoit aussi une autre possibilité de différenciation par catégorie d’acheteurs. Un hard-discount pourra-t-il acheter moins cher qu’un hyper ou réciproquement ? Sur quels critères ? Et pourquoi pas justement une différenciation entre deux enseignes d’hyper… Pas très cohérent tout cela, d’autant que la jurisprudence du Conseil de la Concurrence s’oppose justement à la discrimination entre réseaux. 2) Le prix de revente : Le projet maintient l’interdiction de revente à perte. Ok. La coopération commerciale (les fameuses marges arrière) pourra être en partie remise dans les prix. Mais avec une formule très difficile à appliquer : pourra être répercutée aux consommateurs la coopération commerciale supérieure à 20 %, et dans la limite de 50 % de la valeur du produit. Vous imaginez le travail des chefs de rayon ! Par définition, la coopération commerciale n’est pas affectée à un produit (elle rémunère par exemple la détention de toute une gamme). Comment va-t-on répartir ce budget sur 20 ou 30 références ? Est-ce le fournisseur qui donnera la clé ? Qu’est-ce qui empêchera un distributeur de mettre un seul article en prix d’appel ? A quoi rime alors le maintien d’un seuil de marge arrière à 20 % ? Et comment fait-on avec la TVA (la coopération commerciale est taxée à 19,6 % alors que la majorité des produits alimentaires sont soumis à un taux de TVA de 5,5 %). Changera-t-elle selon que la coopération commerciale sera déduite ou non d’un produit ? ? ? J’avais décrit sur mon site (page d’accueil du 10 mars), les effets pervers d’un tel système. Laissez-moi vous dire que dans ce genre d’exercice, ce ne sont plus des commerciaux qu’il nous faut recruter, mais des juristes à la pelle. Prévenez les parents qui croient encore que l’avenir de leur progéniture passe par les grandes écoles de commerce ! 3) Les sanctions : Comme je le décrivais dans le blog du 6/04/05, le régime des sanctions est revu à la hausse et reste principalement du domaine pénal. Vu le nombre d’opérations à traiter par magasin ou par entrepôt, et le risque juridique encouru, les distributeurs sont fondés à diminuer la part des grandes marques vendues en hypermarché. Si ce texte est voté en l’état, il n’y aura plus de raison de freiner le développement de nos marques propres ou de notre réseau de hard-discount. 4) La commission d’évaluation des pratiques commerciales : Jusqu’ici, cette commission a plutôt servi de lieu de discussion : on y interprète les pratiques pour évaluer leur pertinence juridique. C’est dire où on en est ! Dans son nouveau statut, il n’y aura plus de magistrat. Le secret des affaires ne sera plus garanti. Aux côtés de personnalités qualifiées vont venir se joindre des représentants désignés par l’administration (Economie, Consommation, Emploi, Agriculture, Commerce et Artisanat). Autant dire que cette commission devient un outil d’instruction à la disposition de l’administration. …Voilà l’essentiel du nouveau projet. Il est évident aujourd’hui qu’il y a unanimité des professionnels pour sortir de ce guêpier. Les distributeurs sont les plus pénalisés. Et comme il s’agit d’une refonte du Code du commerce, ce sont tous les commerçants (petits ou grands, spécialistes, franchisés et succursalistes) qui en feront les frais. Pas seulement la grande distribution. Le projet ne facilitera pas non plus la vie des industriels. Une chose est certaine. En l’état, ce dispositif est trop complexe pour pouvoir être applicable. Il faudra tout le savoir-faire de la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée pour démêler cet écheveau. Plutôt que d’amender ce qui est mal emmanché, il faudra que le Parlement revienne aux préconisations de la Commission Chatel et du rapport Canivet. Si l’on veut changer les méthodes de négociation dans la distribution et surtout si l’on veut infléchir durablement les stratégies d’entreprise, il faut que cette réforme aille progressivement, mais de manière irréversible vers la liberté des prix. En 3 ou 4 ans, il faut arriver à supprimer les marges arrière. Dès 2005, il faut les reporter sur la facture du fournisseur. Et sur la base d’un prix de facture net de toute remise, appliquer un coefficient dégressif (20 % en 2005, 15 % en 2006, 10 % en 2007, etc…). C’est ce que préconisent les députés Chatel et Ollier. Nous soutenons cette position. A défaut, je ne vois pas comment on obtiendra les 5 % de baisse théoriquement envisagés par le Premier Ministre ! Mais le veut-il vraiment ? Le projet présenté par Monsieur Jacob n’en montre pas la détermination.

6 Commentaires

La barbe, ces ghettos de spécialistes qui ferraillent dans l'ombre de notre univers quotidien pour accroître leur pouvoir.
On est libéral ou ne l'est pas. Pourquoi alors les professionnels du commerce seraient-ils incapable de s'asseoir autour d'une table et se mettre d'accord sur des propositions réalistes, équilibrées et compréhensibles par leurs clients?
Cela mettrait fin à ces escalades technocratiques et ces luttes de pouvoir qui nous font particulièrement douter de la bonne foi des uns et des autres.
Les associations de consommateur seraient fières de jouer les juges de paix et apporteraient une cotions et des contributions non négligeables.
Les références des uns et des autres seraient clairement identifiés.
Et on aurait peut être l'impression de vivre dans un pays où les gens se comprennent et se reconnaissent dans leur alter ego, une étape indispensable pour faire tâche d'huile au niveau de l'Europe.
Jusqu'à présent j'avais parfaitement compris que pour savoir qu'elle était le prix d'un article il fallait soustraire au prix d'achat le bon de réduction offert par l'animatrice en magasin, le bon d'achat offert par l'enseigne, et se faire rembourser l'article par la sogec. Mais à la fin de l'année comment va-t-on faire, qu'elle va être la nouvelle méthode de calcul pour nous les Cons-Sots-Mateurs? :)
Oui, le projet va moins loin que les préconisations de la commission Canivet et ne reprend pas non plus les formules proposées par la mission d'information parlementaire.
Cela étant :
1) L'administration, pour la première fois, autorise le passage de la marge arrière, au moins partiellement, sur la marge avant. Je me rappelle qu'il n'y a pas si longtemps M. Dutreil nous disait qu'il n'y avait aucun problème pour négocier les prix à la baisse en France. Il y a donc une avancée intellectuelle dans l'Administration. Qui va piano va sano va lontano !
2) Je ne trouve pas illogique que les conditions générales de vente soient conservées. Dans une négociation, il me paraît normal que le premier prix proposé soit celui du fournisseur. Rien n'interdit la négociation ensuite.
3) Cette négociation est assouplie. Elle pourra se faire sur des bases différentes selon les catégories d'acheteurs. C'est là une reprise de ce que préconisait la circulaire Dutreil. Qui n'a pas été appliquée ! Il aurait été préférable, c'est vrai, que ces catégories soient définies. Elles le seront par décret. Je pense que cela vise principalement les grossistes.
4) En réponse à michel baminet, il semble malheureusement que les professionnels n'étaient pas d'accord sur le niveau à attendre de la réforme. Désaccords entre industriels et PME, entre distributeurs également.
Devant cette absence de consensus, le Gouvernement a finalement choisi de ne pas choisir ! Voilà qui promet un débat parlementaire animé !
Réponse à Michel BAMINET (13/04/2005)
Comme l’a dit précédemment Erosoft dans un autre commentaire, le politique, qui a perdu le pouvoir économique, cherche à se valoriser en se positionnant comme arbitre protecteur des catégories les plus menacées par la concurrence. On nage donc en permanence entre clientélisme et nécessité consumériste. Ca donne des textes complètement hybrides, difficilement applicables. Du coup, après le vote par le Parlement de ce genre de texte, les professionnels, au mieux, se retrouvent en réunion autour d’un ministre ou d’un haut fonctionnaire pour essayer d’obtenir un décret d’interprétation ou une circulaire qui re-clarifie les choses. Au pire, on laisse les professionnels s’étriper entre eux, on les renvoie devant les tribunaux, ou encore, on en désigne un comme bouc émissaire.
Vous avez complètement raison. L’histoire du droit, dans le secteur des biens de consommation en France, est celle d’une accumulation de règlements de plus en plus protectionnistes et catégoriels. Les grands industriels et les grands distributeurs arrivent à contourner plus ou moins les difficultés en s’agrippant au droit européen. Mais les petits (agriculteurs, PME, artisans) qui sont censés être ainsi défendus, sont les dindons permanents de la farce.
Quant aux associations de consommateurs, leur contribution est très aléatoire. Elles disposent de peu de moyens d’investigation. Beaucoup sont politisées et leur action est liée à un syndicat ouvrier ou à un parti politique. Les autres se débrouillent. Mais dans le cas de la loi Galland, elles ont loupé deux fois le coche : au moment du vote de la loi en 1997, et au moment de sa révision en 2001 !
Bonjour MEL,
En fin de semaine dernière, une délégation d'agriculteurs du Modef (ne pas confondre avec Medef, eux seraient même à la gauche de Bové) ont envahi la DG de Carrefour France pour protester contre le maintien des 20 derniers points de CC voulu par Jacob.Etonnant tout de même. En prêtant l'oreille, on entendait même des slogans "libérez les SRP" "nous voulons négocier les CGV". Avouez-le, Michel, ce vendredi là, vous étiez avec les agriculteurs du Modef. La fausse bouse que vous vous étiez mis sur les chaussures n'a pas suffit à vous rendre incognito. Pas plus que votre blouson Massey-Fergusson. On vous a reconnu. Vous avez profité de la naïveté du syndicalisme agricole pour l'infiltrer. Vous êtes démasqué.
PS : ce serait sympa de rendre à la direction des achats de CRF le gros classeur que vous avez profité de l'occasion pour embarquer. Si si, celui avec les conditions 2005. Ils en ont bien besoin.
Réponse à Henry Stourn (18/04/2005)
Ok, promis, juré, je rendrai le classeur des conditions d’achat après l’avoir dûment épluché. Pour l’occasion et pour le remettre en place discrètement, je me glisserai dans la suite d’une visite officielle de Christian Jacob que j’aurai préalablement organisée. L’occasion pour le Ministre, en visitant le siège de Carrefour, de faire découvrir aux Français qu’il est Ministre de la Consommation et qu’il s’intéresse aux prix des choses.

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