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France Loisirs avale les librairies Privat : Reparlons de la loi Lang

Blog_190405_livres Emotion dans le petit monde de l’édition. France Loisirs (202 points de vente) vient de racheter le réseau de l’enseigne Privat (32 librairies générales dont 26 en France). Après le rachat du « Grand Livre du Mois » et au lendemain du lancement de « Audible.fr » (« premier site internet de téléchargement de contenu culturel »), cette opération du groupe Bertelsmann permet à Marc-Olivier Sommer (PDG France) d’ambitionner le leadership du secteur d’ici 2010 (devant la Fnac et Leclerc). L’affaire est abondamment commentée dans les gazettes économiques. Mais paradoxalement, pas un commentaire, pas l’ombre d’une référence à ce qui pourrait être interprété comme un effet pervers de cette bonne vieille loi Lang. La loi Lang (1981), du nom de l’ancien Ministre de la culture, a instauré en France un prix unique du livre. Depuis 20 ans, les livres sont vendus partout au même prix, dans les hypers, les librairies ou sur le net : un rabais de 5 % maximum est autorisé. Ce sont les éditeurs qui fixent les prix de vente public. C’est pour contrer la Fnac et les hypers que les syndicats des libraires avaient proposé cette mesure. François Mitterrand l’avait inscrite dans les 110 propositions qui constituaient son programme présidentiel. Les Centres E. Leclerc ont longtemps ferraillé contre cette loi censée protéger les libraires indépendants : petits libraires de quartier, librairies spécialisées, etc… Il faut dire que la question méritait d’être posée. Trop souvent, les hypermarchés se contentaient de « massacrer » le prix des dictionnaires, des livres pratiques ou de quelques best-sellers, sans s’engager sur la détention d’une offre de fond suffisamment diversifiée. De ce fait, ils concurrençaient les libraires, pouvaient casser le marché, sans fournir une offre de remplacement qui soit de qualité. Mais là où nous préconisions l’intervention des éditeurs pour qu’ils différencient leurs conditions de vente au profit des seuls bons professionnels, le législateur a préféré empêcher tout rabais et interdire la concurrence par les prix. Vraie préoccupation, mauvaise réponse ! Il arriva ce qui devait arriver : fortes d’une marge quasi garantie de 30 % à 38 %, les grandes surfaces (GMS et GSS) ont développé leur chiffre d’affaires au détriment du réseau des libraires. Les professionnels de l’édition n’ont jamais voulu faire un bilan objectif. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. La librairie traditionnelle ne représente plus que 19 % du marché, contre 41 % aux GSS et hypers, et 21 % aux clubs du livre et à la VPC. Seuls les libraires en réseau ou les librairies des grandes villes ont pu résister. Cette évolution était prévisible. On nous a fait taire. Nous avons perdu nos procès. On nous a fait remonter les prix. Histoire ancienne donc ! Mais il est un fait que nous avions aussi dénoncé : il n’était pas logique d’autoriser, seuls, les clubs du livre à discounter. Il leur suffisait de re-maquetter les livres six mois après leur parution et d’en discounter le prix. Vue sous cet angle, l’opération France Loisirs consacre, certes, la réussite d’une entreprise remarquablement gérée. Mais elle illustre surtout un des effets pervers de la loi Lang : Privat fut pendant longtemps l’un des plus beaux fleurons du secteur de l’édition dans le sud de la France. Le rachat, aujourd’hui, de cette prestigieuse maison par un club de livres dont le catalogue n’atteint pas 10 % de l’offre d’une librairie d’aéroport, devrait faire réfléchir tous ceux qui, ici comme ailleurs, n’arrêtent pas de réclamer ce type de mesures protectionnistes.

9 Commentaires

1) Sans la loi Lang, la place des librairies de quartier serait sûrement plus faible encore. Non ?
C'est quand même drôlement agréable d'aller bouquiner entre midi et deux boulevard saint germain, plutôt que d'aller dans un grand magasin. Enfin, je trouve que ma qualité de vie y perdrait si ce n'était plus le cas.
Je ne connais pas bien le dossier. Mais il me semble logique qu'une moindre concurrence sur les prix a permis de conserver ces librairies de quartier. Il paraît que ça n'existe plus à l'étranger ?
2) Vous plaidiez à l'époque de la loi lang pour une différenciation selon les acheteurs. Pourquoi ne pas l'envisager dans la réforme de la loi Galland : des conditions différentes selon que l'on est grossiste ou non par exemple ?
Moi je crois au contraire de toi Sébastien que la loi Lang à fait chuter les ventes de livre, ceux à quoi les éditeurs ont répondu par une multiplication des éditions. Le livre est devenu un article de luxe. Il faut compter environ 15 euros pour un livre neuf en première parution, pour beaoucoup de foyer c'est 15 repas à 1 euros pour reprendre la publicité d'un hypermarché douarneniste placardée sur tous les espaces publicitaires, spontus! Et moins les gens lisent, moins ils donnent envie de lire à leurs enfants. Un best-seller avant la loi Lang, c'était me semble-t-il 100 000 exemplaires, aujourd'hui seulement 10 000; c'est un peu dommage pour les auteurs qui pourraient séduire davantage de monde si seulement les livres étaient vendus moins chers.
D'autre part l'offre des libraires indépendant n'est pas la même que celle des hypers et autres grand résaux. Dans les hypers, on trouve les têtes de gondoles des émissions télés (Fogiel, Ardisson, Ruquier) au contraire chez les indépendants on ne trouve pas ces auteurs mais ceux dont on ne parle pas dans les médias qui sont restés confidentiels malheureusement pour nous qui aurions peut-aimé leur prose si seulement nous en avions entendu parler.
Moi-même je ne lis pas, je n'ai pas gout pour la lecture, en revanche j'achète des BD. Mais je les achète d'occasion parce que pour une BD neuve je peux en avoir 2 voir 3 d'occasions. C'est dommage pour les auteurs qui du coup ne gagnent pas autant qu'ils le pourraient, mais bon si j'achete du neuf je n'en prend qu'une vu que le budget nourriture passe avant tout.
MEL qui fixe le prix de vos livre vous ou l'editeur? Ce n'est pas un peu frustrant de ne pas pouvoir vendre ses propres livres au prix que l'on le souhaite pour quelqu'un qui veut que la culture soit accessible à tous?
1) Erosoft, je me demande s'il n'y a pas un paradoxe dans ton double constat :
a) "Rendre la culture accessible à tous" ;
b) Les hypers se concentrent "sur les têtes de gondole des émissions télé".
2) Si les gens lisent moins, je ne crois pas que ce soit dû principalement à la loi Lang. Je crois qu'il y a d'autres causes :
a) la place prise par l'écran (télé et ordinateur)
b) le rôle joué par les bibliothèques publiques qui, ces dernières années, ont fait l'objet d'investissements réussis ( par exemple, la bibliothèque multimédia de Limoges est une splendeur et elle est totalement gratuite).
Proposez ce que bon vous semble mais, pitié, ne tuez pas les librairies de quartier. Où je vais aller me balader moi à midi ?!!
L'idée seb n'est pas de tuer les libraires de quartier en baissant les prix des livres, mais de donner le gout à la lecture à ceux qui ne lisent pas. En faisant des promotions sur les "best-sellers", on peut réussir à convaincre une partie des français à lire et dans un second temps espérer qu'ils iront chez les libraires indépendants acheter d'autres livres qui ne se trouvent pas dans les hypers. Car il s'agit bien de redonner gout à la lecture à des gens qui ne vont plus dans les rayons livres des hypers et ni dans les librairies et non de détourner la clientèle des libraires indépendants puisqu'ils ne vendent pas les mêmes livrent que les hypers.
D'accord avec toi sur le fait que la télévision occupe une part très voir trop importante dans la vie des gens.
Pas d'accord avec toi sur le fait que les bibliothèques soient "gratuites", je ne me suis pas penché sur la question du fonctionnement de celle de Limoges, mais je suis certains qu'elle est payée indirectement par les impots locaux et autres subventions de l'état comme partout ailleurs.
En résumé il n'y aura pas de disparition des petits libraires puisque les passionnés de livres les fréquenteront toujours. Mais sur le long terme, si de plus en plus de gens ne sont pas intéréssés par la lecture il sera difficle de remplacer la vielle génération de lecteur et donc la mort des petits libraires sera inévitable. Il faut donc séduire une nouvelle génération en leur proposant des livres à prix abordables sinon ils ne se vendront pas (un peu comme pour les disques d'ailleurs)
Il existe quand même toutes les éditions de poche, qui reprennent le plus souvent les best-sellers et qui proposent des prix moitié moins chers.
A Strasbourg, vous pouvez rencontrer les écrivains, qui sont, en général, plus accessibles que les acteurs ou les chanteurs. Je ne parle pas d'une séance de dédicaces vite fait à la fnac ou au virgin, mais dans une librairie installée depuis 30 ans dans la place. C'est très vivant, les auteurs donnent envie de lire (ils sont là aussi pour vendre me direz-vous) c'est quand même mieux qu'une affiche dans le métro parisien. Peut-être que tout le problème vient de là d'ailleurs : les chutes des ventes des livres ne seraient-elle pas le fruit d'une campagne marketing mal adaptée ? Sait-on vraiment qui sont les lecteurs ? La loi n'est pas très souple et j'imagine bien que les marges de manoeuvre dans le domaine de la vente sont restreintes (deux livres achetés un offert, ce genre d'action est encore trop timide). Comme dit Danny Boon : "Public, il faut lire, promets-le". D'accord, mais lire quoi ? De même qu'on lance des campagnes d'affichage pour vanter les vertues des asperges, pourquoi les éditeurs ne font-ils pas des campagnes de pub pour promouvoir leurs auteurs (autres que la famille Clark si possible)? Les salons du livre ne sont pas suffisant pour promouvoir la lecture (à mon humble avis bien sûr) et je pense que l'attractivité des livres ne dépend pas que du prix (si c'était le cas, il y aurait plus d'abonnés aux bibliothèques, non ?) Si les éditeurs étaient aussi libraires, on aurait peut-être droit à des campagnes de pubs aussi délires que celles de Virgin. Hum...?
Seb les maisons d'éditions ne font pas la publicité des livres de poches, et un best-seller ne sort au format poche qu'au bout d'un an environ en un an les gens ont largement eu le temps d'oublier l'existence de ce livre.
Comme le dit Eugène il faut redonner ou simplement donner le gout de lire à ceux qui ne l'ont pas...
Dans les pays qui n'ont pas eu de Loi Lang, les librairies indépendantes ont disparus.
Est-ce vraiment la Loi Lang sur le prix unique du livre qui fait que les conditions économiques des librairies ont changé ? Aujourd'hui, le rachat de ce groupe de librairie est-il vraiment à mettre sur le dos de la Loi Lang ?
Réponse à Erosoft, Eugène, Sébastien (21/04/2005)
Intéressant débat que le vôtre. Quelques idées :
1) Je réponds à Eugène. Dans l’absolu, le livre n’est pas cher. Mais le prix est une notion relative. Dans toutes les enquêtes réalisées auprès du public, le livre apparaît comme un bien trop cher. Comme pour le CD musical. Cela veut tout simplement dire que dans l’arbitrage que font les Français entre différentes formes de loisirs, ils accepteront plus facilement de dépenser cette somme en cinémas ou en restaurants plutôt qu’en achats de livres.
2) Même si ce comportement est largement irrationnel et injustifié, il est induit par une politique d’offre de produits de loisirs et de culture dont le marketing est souvent plus alléchant. Vous le savez bien, Eugène, si les Français passent 3 heures et demie en moyenne devant la TV, plus une heure sur l’ordinateur, ils ne liront pas ou très peu. Le phénomène touche la presse écrite comme le livre.
Lire exige un effort. On consomme une émission de télé passivement. Lire exige une ascèse, peut-être même un apprentissage, une éducation. Ce goût de la lecture, l’amour des livres ne font plus partie de l’enseignement et ne sont pas, comme vous le dites, le fruit d’une campagne particulière.
3) Je vous rappelle, par ailleurs, que la profession (éditeurs et libraires) s’est tirée une balle dans le pied en refusant d’autoriser la publicité des livres à la télé. Certes, il existe encore quelques bonnes émissions : trop tardives, souvent élitistes, en tout cas pas adaptées aux jeunes. Ceux-ci connaissent tout des jeux vidéo, des derniers CD, mais n’ont accès à aucune information publicitaire sur les dernières parutions (excellentes) concernant les livres de jeunesse (Nathan, Ecole des loisirs, etc…). Le système va-t-il réussir à produire une nouvelle génération de lecteurs ?
4) Ce qui fait lire, c’est l’offre. Contrairement aux produits alimentaires dont les ventes sont toujours tirées par une économie du « besoin », les consommateurs-lecteurs n’achèteront de livres que s’ils viennent à eux. C’est l’offre qui fait la demande. De ce point de vue, la présence du livre dans toutes formes de circuits de distribution est importante. Il faut qu’il y ait des livres en hypers, dans les librairies spécialisées, dans les kiosques de gare. Et puisqu’il faut d’abord faire aimer la lecture, Erosoft n’a pas tort de dire qu’il ne faut pas cracher sur les best-sellers. Pas plus qu’il ne faut négliger aussi l’argument prix, comme en témoigne d’ailleurs le choix des éditeurs de développer le livre de poche.
5) Enfin, pour finir, je plaide pour le maintien d’un circuit pluriel de distribution du livre. S’il ne fallait pas pénaliser la distribution grand public, rien n’empêchait les éditeurs d’établir leurs tarifs pour donner plus de marge aux détenteurs du livre de fond. C’est toute l’hypocrisie que je dénonce dans leur attitude. Aujourd’hui, un bon comme un mauvais libraire ont à peu près les mêmes conditions. Si le discounter d’une gamme trop courte avait bénéficié de remises plus limitées que le libraire spécialisé, ça limiterait aussi sa capacité de déstabilisation du marché. Mais, jamais, je n’ai été écouté sur ce point.

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